Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1958 (1).
1958
Le 1er février 1958, les agents du KGB, pilotés par le pseudo Pierre Duval s’attaquèrent à Franz von Hauerstadt. Mal leur en prit.
Comme tous les matins depuis quelques mois, le duc s’apprêtait à partir pour le bureau de la firme d’Otto Möll, dont désormais il était le directeur pour Washington. Ce bureau avait son siège dans l’un des plus beaux bâtiments de la capitale.
D’humeur guillerette, Franz, qui venait d’achever son jogging et qui avait gardé par mégarde dans l’une des poches de son costume Prince de Galles à la coupe impeccable une vieille corde de violon, la chanterelle mi pour être précis, tout en sifflotant l’air principal d’Harold en Italie de Berlioz,
avait monté le volet de son garage. Il était décidé à prendre sa Ferrari rouge grand sport. Pour cela, il vérifiait si celle-ci n’avait pas besoin de refaire le plein d’essence.
Cependant, alors qu’il s’adonnait à cette tâche ordinaire, le duc remarqua quelque chose d’inhabituel dans le garage. Près de la Rolls,
quatre ombres se profilaient. Or, l’une des brutes fit un geste malencontreux et un bidon d’huile dégringola d’une étagère.
Aussitôt, Franz retrouva ses instincts de combattant hors pair, ces fameux instincts qui avaient fait merveille à Tobrouk
ou encore à Stalingrad. Vif comme l’éclair, il se jeta à plat-ventre sur le sol cimenté et effectua un parfait roulé-boulé jusque sous la voiture rouge. Parallèlement, il saisit son Browning qu’il conservait toujours sur lui depuis les terribles péripéties du mois d’octobre précédent.
Après son mouvement tournant, von Hauerstadt se retrouva face au dos de ses assaillants, qui, dans la semi-pénombre, le cherchaient des yeux tout en n’hésitant pas à tirer au hasard au risque de faire un carnage.
Les claquements secs caractéristiques des armes à feu s’entendaient assez loin et avertirent Elisabeth du danger présent dans le garage. La jeune femme ne perdit pas son sang-froid. Elle en avait vu d’autres durant les heures sombres de l’Occupation. Alors, elle grimpa quatre à quatre les marches de l’escalier qui menait à l’étage supérieur et ordonna aux enfants de se mettre à l’abri sous les lits. Quant à la nurse, Marie, elle se terra dans la salle de bains en compagnie des jumelles Liliane et Sylviane.
Dans sa chambre, Elisabeth prit l’appareil téléphonique et tenta d’obtenir la police. Mais la ligne était encombrée et la communication ne fut établie qu’au bout de cinq minutes, un laps de temps conséquent.
En bas, dans le garage, tout pouvait advenir.
Franz n’avait pas hésité une seconde à se servir de son Browning. Une balle atteignit l’un des tueurs au poignet, lui brisant les os. Sous la douleur, l’agent soviétique lâcha son arme.
Mais il restait encore au moins trois assassins pouvant commettre l’irréparable. La mitraille s’intensifia donc tandis que les brutes indemnes se précipitaient en direction de la Ferrari grand sport avec l’intention de se saisir de von Hauerstadt. Mais celui-ci ne se laissait pas faire. Il expédia un coup de pied magistral directement dans l’estomac de l’adversaire le plus proche de lui. Ce dernier, sonné, entraîna dans sa chute ses deux compagnons.
Pendant ce temps, le blessé s’était ressaisi. S’avisant d’une barre de fer, en fait un tisonnier oublié là par hasard (?), il voulut la projeter sur Franz qui venait tout juste de se redresser de l’autre côté de la voiture. L’ancien lieutenant-colonel vit à temps le danger. Sans sourciller, sans même viser, il fit feu et cette fois-ci son adversaire n’eut pas la chance de survivre à ce tir mortel. La balle, entrant par le nez, le lui éclatant, ressortit du côté opposé, par la nuque, faisant des ravages dans le cerveau. Alors, le sang jaillit à flots des narines, des oreilles et de la bouche du colosse qui tomba mort sur le sol cimenté se jaspant de pourpre.
Ce petit incident détourna l’attention des trois agents soviétiques qui peinaient à se relever dans la relative étroitesse du garage. Franz, nullement ému d’avoir descendu un homme, se saisit d’un chalumeau placé sur l’étagère juste au-dessus de sa tête. Entre les mains du duc, cet objet d’usage courant allait se transformer en arme diabolique !
De la main droite, von Hauerstadt tenait toujours son pistolet automatique et de la gauche le chalumeau désormais allumé. Une flamme bleutée brillait dans la semi-obscurité, laissant présager ce qui allait suivre…
Inconscients ou presque du danger, les trois Soviétiques essayaient d’acculer Franz tout en hésitant maintenant à tirer, reculant insidieusement devant la langue bleutée de l’arme improvisée. Or, une seconde, l’un des assaillant se retrouva un peu trop près de la flamme. Sans frémir, l’ex-lieutenant-colonel de la Wehrmacht augmenta le débit et l’espion vit son visage s’embraser instantanément. Tandis que l’on entendait distinctement la chair grésiller, une abominable odeur de graisse brûlée s’éleva dans le garage, faisant suffoquer les compagnons de l’agent. Le malheureux hurlait sous la douleur, reculait, bousculant ses amis, totalement aveugle, mû par l’instinct d’éteindre le feu qui ravageait sa figure, ses yeux, ses cheveux.
Renversés, les deux espions essayèrent de se relever avec l’intention manifeste de tirer, de se servir de leurs pistolets, des Beretta. Mais ils n’en eurent pas l’occasion. Franz venait de projeter le chalumeau dans leur direction. Ce geste les ralentit suffisamment pour que leur proie s’emparât du tisonnier et s’en servît comme un bâton, le faisant tournoyer dans les airs avec une agilité prodigieuse. Véritable massue, l’arme cogna, meurtrit durement les bras, les épaules et les ventres des assaillants.
Toutefois, le duc lâcha subitement le tisonnier, contraint à se jeter une fois encore sur le sol afin de réchapper à une rafale de mitraillette. Un cinquième assassin venait en effet de se manifester.
Il s’agissait d’un petit homme d’aspect assez falot, portant lunettes à verres fumés et cravate aux couleurs criardes. Il répondait au nom de Igor Pavlovitch Fouchine…
A l’extérieur, il avait trouvé le temps long et avait donc pris la décision de se manifester.
- Hum… Cela a l’air plus dur que prévu. Je vais devoir m’en mêler, je pense… Fichu Boche !
Dans le garage, les deux Soviétiques survivants mais Franz également, n’avaient plus de balles. Alors que le chef, le commandant Fouchine intervenait avec sa brutalité coutumière, les trois hommes en étaient venus aux mains, l’un des tueurs tentant d’user de son coup de poing américain contre le duc. Peine perdue ! D’une souplesse merveilleuse, jamais l’arme n’atteignit le menton du Germano-Américain. Mieux : von Hauerstadt parvint à s’emparer du coup de poing et à le jeter au loin.
Mais Franz n’était pas tiré d’affaire, du moins pas encore. Toutefois, le corps à corps se poursuivait. Cette fois-ci, le duc, se rappelant fort à propos de la présence du mi chanterelle
mis dans l’une de ses poches du veston désormais froissé et poussiéreux, un costume gâché mais ce n’était pas grave, s’en saisit, acceptant pour cela d’encaisser un ou deux coups de poing dans l’estomac et sur le visage.
Un sourire cruel se dessina sur la face de brute du tueur. Sous le regard de son chef, il crut pouvoir asséner le coup de grâce à l’ancien nazi. Mais, sans qu’il comprît comment, il vit soudain le souffle lui manquer. Une corde d’acier le plus fin et le plus coupant lui entourait le cou. Il eut beau se débattre, rien n’y fit. Alors qu’Igor se précipitait pour porter secours à son subordonné, il n’eut que le temps de voir celui-ci se contorsionner, sa gorge tranchée nette, laissant s’écouler des rigoles de sang sur le sol souillé.
D’horreur, Fouchine recula de deux pas, oubliant qu’il était pourtant armé de sa Kalachnikov. Le cadavre à ses pieds avait toujours la chanterelle nouée autour du cou. Quant au deuxième assassin, il avait perdu momentanément conscience lors du corps-à corps précédent, sonné par une clé anglaise qui lui avait brisé le bras droit.
Cependant, le combat n’était point encore terminé. Igor pouvait revenir à l’assaut. Le passage à vide des Russes permit à von Hauerstadt de brancher un appareil tout à fait ordinaire à une prise de courant. Un bourdonnement sinistre s’éleva dans le silence relatif du garage, annonciateur d’une nouvelle phase de cet affrontement acharné. Franz, tenant la perceuse comme une mitraillette, enfonça la mèche qui vrillait et tournait dans la poitrine du Soviétique au bras brisé, alors que celui-ci, se redressant, tâtonnait désespérément à la recherche d’un autre coup-de-poing.
Les hurlements qui suivirent allaient rester durablement dans la mémoire et les cauchemars de Franz durant les prochaines années. Mais il lui fallait survivre, n’est-ce pas ? Il avait des vies à protéger, Elisabeth, son adorée, ses enfants…
Le baraqué à la poitrine transpercée mourut dans d’abominables souffrances. Quant à Igor, troublé, estomaqué même, il se demandait s’il ne devait pas fuir. Mais von Hauerstadt l’apostropha en russe.
- Tu en veux toi aussi ? Viens donc ! Ne sois pas lâche.
N’écoutant que son instinct, Igor fit demi-tour. Il se cogna durement à la Rolls. Il avait eu tort d’abandonner sa mitraillette. La peur avait eu raison de lui. Or, la Kalachnikov délaissée fut ramassée par le duc. Celui-ci ne fit pas feu en direction du fuyard, du moins pas immédiatement. Il tira sur un bidon d’essence qui s’enflamma aussitôt à la suite d’une étincelle. Puis, d’un coup de pied rageur, Franz fit rouler le jerrycan vers le fuyard. Comme une quille de bowling, Igor tomba et, atteint aux jambes par les flammes, essaya de les éteindre. Tandis qu’il faisait des gestes désespérés, il releva la tête un instant. Au-dessus de lui, sa proie le dévisageait froidement.
- Alors, tu as mal ? Reprit von Hauerstadt sur un ton impossible à rendre. Est-ce toi qui es venu à bout du sénateur York ? Qui as tué Mac Garnett ? Qui as saboté ma voiture cet automne ?
- Niet, démentit Igor tout en transpirant abondamment de souffrance et de peur.
- Menteur ! Je ne te crois pas. Tu appartiens à la même engeance.
S’abandonnant à la colère, Franz mitrailla sa victime, lui envoyant une dizaine de balles dans la peau. Alors qu’enfin Igor Pavlovitch Fouchine agonisait et que le duc murmurait :
- Scheisse…
Dans le lointain retentissaient plusieurs hurlements de sirènes. La police se manifestait enfin.
Un peu plus tard, von Hauerstadt dut s’expliquer sur ce massacre. Cinq agents soviétiques abattus et dans des circonstances horribles. Heureusement, les forces de l’ordre retrouvèrent sur les espions des preuves qui démontraient leur appartenance à une obscure agence de renseignement russe, non pas le KGB mais un de ses bras armés.
Bref, dans cette histoire, mister von Hauerstadt avait démontré sa capacité à se transformer en machine à tuer d’une efficacité redoutable, frisant la perfection.
*****
A la suite de la mise en boîte de cette scène, Pierre, le comédien, s’autorisa un soupir.
- Eh bien ! Je n’en reviens pas. Vous ne me gâtez pas dans les scènes d’actions, Henri !
- Ce n’est pas moi qui veux cela, c’est le scénario. Demandez à Spénéloss ou à Daniel Lin.
- En attendant, c’est miracle que je n’ai pas été blessé en tournant ces scènes.
- Nous pouvons en dire tout autant, firent en chœur les figurants
- Oui… à propos, compléta Sitruk qui avait incarné l’espion qui était mort le torse transpercé par la perceuse, il était moins une… les sécurités avaient-elles été oubliées ?
- Non, pas du tout, rétorqua Denis O’Rourke. J’étais en charge de leur surveillance.
- Hem. Toussota Benjamin. Tout de même. Je me pose une question. Pourquoi est-ce moi qui ai hérité du rôle ? Bruce, dit Scurvy Dick aurait très bien pu faire ce caméo.
- Vous oubliez, commandant, que ledit acteur n’a pas été accepté dans la cité, jeta négligemment le jeune médecin.
- Ah ? Mais pourquoi donc ? Fit semblant de s’étonner Henri Verneuil, le réalisateur.
- Comment ? Vous ne savez pas la chose ? Reprit Pierre Vaneck,
le héros de cette scène mémorable. Le commandant Wu, en tant que Superviseur général de l’Agartha a refusé de donner son aval quant à la présence de notre Américain dans notre chère cité.
- Bizarre.
- Pas du tout, poursuivit le comédien blond au sourire agréable. Scurvy Dick est connu pour ses rôles de gardien de l’ordre. Il parvient à ses fins en usant de violence… on parle ici d’ultra violence… or, aux dires de Daniel Lin, tout ceci aurait encouragé les jeunes compatriotes de l’acteur à régler leurs conflits, aussi anodins soient-ils de la même manière musclée…
- Justement… en parlant d’ultra violence, nous avons été gâtés, marmonna Benjamin. Je ne crois pas que Violetta, ma fille aînée, ait l’âge pour voir une telle scène.
- C’est prévu, fit Albriss qui venait d’arriver sur le plateau numéro 8. Demain, lorsque le feuilleton passera sur les écrans, les moins de douze ans n’auront pas accès à l’émission. Quant à ceux qui ont entre douze et seize ans, les scènes seront truquées informatiquement et donc, ce qui sera visionné pa les adolescents sera quelque peu édulcoré.
- Je m’en vois soulagé, siffla Sitruk entre ses dents.
- Tant mieux, rajouta Denis.
- Commandant, proféra l’Hellados. Et vous aussi, Pierre…
- Oui ? Dirent en chœur les deux hommes.
- Je constate avec satisfaction que mes cours de Harrtan vous ont profité.
- Albriss, émit alors Benjamin sur le mode narquois, je vous prends en faute sur ce point. J’ai obtenu ma ceinture verte la semaine passée. Je ne suis donc pas un débutant.
- Pour un humain, c’est assez remarquable.
- Quant à moi, articula Pierre avec humour, je commence à me débrouiller.
- Je dois l’admettre. En moins de trois mois, vous avez réussi à assimiler les bases de cet art martial.
- Cela signifie-t-il que je mérite d’avoir la ceinture orange ?
- N’exagérez pas… juste la blanche et jaune… et encore…
- Quelle condescendance ! Pouffa de rire Denis.
- Messieurs, commanda alors le réalisateur. Je désirerais que vous regardiez ce qui vient d’être mis en boîte. Peut-être quelques raccords s’imposent-ils.
- J’espère que non, souffla Pierre.
- Moi de même, fit chorus Sitruk.
- Laissez-moi juge de la validité des rushs, compléta Henri.
Tous se dirigèrent alors vers la cabine de développement des films. Dans ce studio, on tournait à l’ancienne afin de faire plus authentique. Le grain de la pellicule n’avait rien à envier à celui de l’époque des fifties ou des sixties.
*****
Commentaires
Enregistrer un commentaire