Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1958 (3).

 

1958.

De sa loge, à La Scala,

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 à travers de petites jumelles dorées, Franz ne perdait rien du spectacle offert par les chanteurs qui donnaient La Norma. Mais le duc observait également le public. Son regard s’attarda sur le troisième rang de l’orchestre, où là il reconnut Pierre Duval. 

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- Je tâcherai de lui parler tout à l’heure lors de l’entracte, pensa-t-il.

Ainsi dit, ainsi fait. Devant une flûte de champagne pour le pseudo-français et un verre de soda pour Von Hauerstadt, les deux hommes entamèrent une conversation fort intéressante, mais les propos touchaient à la musique.

- Personnellement, jeta Pierre Duval sur un ton perfide, la diva manque de souffle et de chaleur dans son interprétation.

- Tout à fait de votre avis, répliqua Franz avec un sourire amusé. Elle force dans les aigus.

- Et dire qu’elle a osé interpréter Lakmé dernièrement ! compléta l’espion patenté. Cela devait être une véritable catastrophe. 

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- Il y a peu, souffla Franz, j’ai assisté à une représentation de L’Or du Rhin.

- Ah, oui, tout à fait autre chose. Avez-vous été déçu ?

- Nullement.

Mais Pierre Duval commit alors une erreur. Il se mit à chantonner juste, mais en allemand, l’air principal de la basse dans l’opéra de Wagner. Cela n’échappa pas au duc.

- Je constate avec plaisir que vous connaissez bien les paroles. Vous appréciez donc tout l’opéra dans sa diversité, jeta von Hauerstadt en allemand. 

Imprudemment, Duval répondit dans la même langue.

- Je reconnais être un excellent mélomane. Ma bibliothèque musicale est exhaustive, puisqu’elle contient tous les disques de tous les opéras enregistrés à ce jour.

Sergueï comprit alors qu’il avait gaffé mais ne se démonta pas.

Pendant ce temps, Franz jetait :

- Est-ce par la méthode Berlitz que vous avez appris la langue de Goethe ? Vous vous exprimez en allemand sans le moindre accent étranger.

- D’accord, hé bien, il ne me reste plus qu’à vous avouer quelque chose, mon cher von Hauerstadt. En fait, j’appartiens au contre-espionnage ouest-allemand et non au SDECE. Toutefois, après entente avec les deux services, je me suis retrouvé en poste à Paris afin de traquer quelques taupes soviétiques. J’ai la double nationalité par mon père né français et par ma mère allemande.

- Tout de même, opina Franz, votre aveu est de taille, mon cher Pierre.

- Vous m’avez tendu un piège, von Hauerstadt, mais je ne vous en veux pas. Ah ! On sonne la reprise de l’opéra. Le deuxième acte…

- Mais venez donc l’écouter dans ma loge. Vous y serez installé plus confortablement.

- Bien volontiers, merci.

Ce que le duc n’avait pas dit, c’est qu’il avait décelé, non un accent étranger, chez Pierre Duval, mais des intonations originaires de l’ex-Königsberg, actuellement Kaliningrad. Il était donc évident que cet individu était un menteur né. De Königsberg à Kaliningrad, il était facile de franchir le pas. A tout le moins, cet individu était russe ou du moins en avait-il la nationalité…

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*****

En ce début de printemps 1958, à Detroit, Otto Möll rédigeait son ouvrage resté fameux dans les mémoires télévisuelles françaises : Demain l’électromagnétisme. 

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Le 15 avril, notre ami téléphona à Franz, ce dernier de retour à Washington, afin de lui lire les dernières pages qu’il venait d’écrire. Le duc approuva le contenu, mettant l’accent sur sa pertinence novatrice.

- Otto, je vous encourage à terminer le plus rapidement ce livre. Son retentissement scientifique est garanti.

- Merci pour votre franc soutien, répondit l’avionneur.

- N’oubliez pas la tournée promotionnelle indispensable.

- J’ai déjà pris contact avec un traducteur pour la France.

Le même jour, le gouvernement Félix Gaillard était renversé en France ; c’était l’hallali pour la IVème République. La crise algérienne se profilait déjà : elle éclata le 13 mai avec toutes les conséquences enregistrées par le Commandeur Suprême.

Ce même 13 mai, le duc von Hauerstadt se rendait à Bonn, répondant à l’invitation de Pierre Duval. Celui-ci voulait se faire un ami de Franz. Pour cela, il lui fit visiter une des succursales des services secrets ouest-allemands.

Tout en se montrant intéressé, von Hauerstadt se demandait intérieurement, non sans un humour noir :

« Combien d’agents doubles, d’agents de la Stasi infiltrés parmi tous ces fonctionnaires apparemment consciencieux et interchangeables ? ».

La crise politique engendrée par le 13 mai courut vers son achèvement lorsque le plus illustre des Français forma son gouvernement, le dernier de la mourante IVème République. Le général alla ensuite en Algérie où il prononça un discours à double sens :

- Je vous ai compris. Je sais ce qui s’est passé ici… Il n’y a en Algérie que des Français à part entière, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs… 

Le journaliste italien Giacomo Perretti passa tout son été à enquêter dans les lamaseries tibétaines, bénéficiant d’un passeport en béton. Il est vrai que les autorités chinoises le prenaient pour un doux dingue totalement inoffensif.

Le philosophe avait promis d’informer Otto sur les aboutissements de son voyage avant la fin de l’année.

Cependant, à Detroit, von Möll connaissait quelques soucis familiaux. L’arrivisme de son fils aîné Dietrich le scandalisait.

- Mais, père, je n’allais tout de même pas refuser la place offerte par Athanocrassos. Cela aurait été une folie de laisser échapper une telle opportunité.

- Tu n’en avais pas besoin pour vivre. - Pas du tout. J’ai femme et enfants. Ils ont droit à ce qui se fait de mieux en matière de confort et de sécurité financière.

Après avoir marqué une pause, Dietrich eut le tort de lancer :

- Je connais les raisons de ta colère ; c’est encore cette vieille histoire de divorce qui revient sur le tapis. Tu n’as toujours pas digéré le fait que mère, Renate, t’ait laissé tomber.

- Accuse-moi donc d’avoir été un piètre mari et père. Mais il y a beaucoup plus grave. L’essentiel t’échappe. En devenant l’homme de confiance d’Athanocrassos, tu trempes tes mains dans le cambouis. Lorsque tu te rendras compte de ce que cela signifie, tu t’en mordras les doigts.

- Je n’ai jamais remarqué la moindre régularité dans les comptes de la banque.

- Athanocrassos est beaucoup plus rusé que tu le crois. Beaucoup plus habile également. Le trust agit apparemment dans la légalité. Mais il sait utiliser toutes failles du système. Dietrich, je m’aperçois avec tristesse que tu as oublié les sabotages dont ma firme fut la victime il y a quelques années.

- Père, jamais la police n’a pu prouver d’où le coup venait. Accuser Athanocrassos sur quoi ? Sur du vent ? sur le fait que vous le détestez ? C’en est risible.

- Mon fils, ta naïveté te sidère.

Fâchés, Otto et Dietrich resteront quelques années sans se voir ni s’écrire.

Profitant de la prolongation de son séjour à Bonn, le duc von Hauerstadt rencontra Richard van der Zelden sur présentation de Pierre Duval. Fin psychologue, Franz se rendit compte combien le fils de Johanna était un faible sous la coupe d’Athanocrassos qu’il adulait. Le Germano-Américain resta en Allemagne jusqu’aux fêtes de fins d’années, rejoint par sa petite famille, le chat Sonntag qui prenait de l’âge et qui, désormais, préférait les coussins à la vadrouille, et la nurse Cajun, Marie.

Pour Noël, Franz organisa un petit concert sans prétention dans sa luxueuse villa de la capitale fédérale. Pour ce faire, il avait invité Pierre Duval dont on connaît les qualités de violoniste amateur, Wladimir Belkovsky, - notre homme-orchestre étant aussi violoncelliste -, et un ami allemand Dieter Schwarzberger, altiste, afin d’exécuter le quatuor de Schubert la Jeune Fille et la Mort dans une interprétation plus que correcte. L’espion patenté se tira avec les honneurs de sa partie de second violon. Le duc fixa le souvenir de ce moment musical rare sur bande magnétique qu’il envoya à Otto. 

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Comme à l’accoutumée, Elisabeth brilla par sa tenue so chic.

Daniel Lin se permit d’interrompre le tournage de la scène en lançant cette réflexion à Henri Verneuil :

- Mon cher, cet enregistrement fameux, je le possède. Il a traversé tout à la fois les aléas des siècles et des chronolignes. Reporté de support en support, en fonction des obsolescences technologiques successives, sans cesse remastérisé, dématérialisé, il est désormais archivé ici, grâce à ma patiente traque. Que diriez-vous de le faire entendre à nos chers résidents ?

- Pourquoi pas ?

En 1958, dans le public silencieux, les enfants, y compris les plus jeunes, se comportaient comme des images modèles aux côtés de leur mère et de la vingtaine d’amis intimes du couple von Hauerstadt. Pour célébrer ce moment mémorable, la maîtresse de maison avait passé une robe de soirée bleu pâle en satin lourd comportant un corsage tout brodé, orné de perles et de dentelles. La jupe longue et évasée ne dissimulait nullement la sveltesse remarquable de la jeune femme. Les cheveux roux étaient retenus par un large bandeau assorti à la toilette. Aux pieds de madame von Hauerstadt, des chaussures dorées en satin garnies d’un nœud papillon et pointues comme l’exigeait alors la mode de ce temps-là.

Les musiciens se produisaient dans le salon du rez-de-chaussée dont les éléments les plus remarquables consistaient en un lustre à pampilles, style Louis XV, des fauteuils voltaire tendus de velours bleu, d’une tapisserie dans les tons, et d’une véritable commode Boulle d’époque sur laquelle on pouvait reconnaître quelques bibelots, des porcelaines de Bavière. 

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L’avionneur reçut l’enregistrement alors qu’il venait enfin d’hériter définitivement de l’automate musicien du chevalier della Chiesa. Il n’avait qu’une hâte : le faire réparer. Curieusement, le temps semblait davantage avoir exercé son emprise sur le costume de l’androïde que sur le mécanisme propre.

- Quelle magnifique pièce, vraiment ! soliloqua Otto. A qui puis-je confier la restauration d’un tel chef-d’œuvre ? il serait déplorable de le laisser dormir dans un coin de grenier ou d’une cave. Je vais demander à mon tailleur qu’il rafraîchisse les vêtements de cette pièce rare.

 

*****

 

Le 28 septembre 1958, la Constitution de la Vème République était adoptée par une large majorité de Français. Le 9 octobre, le pape controversé Pie XII mourut après plus de dix-neuf années de pontificat. Le conclave élut son successeur, pensé à tort comme un pape de transition, le bon Jean XXIII. 

 Image illustrative de l’article Jean XXIII

 

*****

 

31 décembre 1958, 23 heures 59 minutes.

Franz et ses invités attendaient avec impatience les douze coups de minuit. Nikita Sinoïevsky et William O’Gready étaient arrivés le matin-même à Washington, la résidence principale des von Hauerstadt. Un bémol cependant ; Otto n’avait pas pu se rendre à l’invitation de son ami car il avait le contrôle fiscal sur le dos.

Minuit tinta à la pendule Louis XVI. Alors, tous levèrent leur coupe de champagne en ovationnant cette nouvelle année 1959 balbutiante. O’Gready, éméché comme de coutume, s’écria joyeusement :

- A l’année 1959 ! Que celle-ci voie la victoire de la Science dans le bon camp !

Franz compléta avec un humour rentré :

- Surtout qu’elle voie la réalisation de tous nos projets.

Les coupes en cristal résonnèrent délicatement puis tous burent.

Le duc von Hauerstadt faisait allusion à la mise au point secrète d’un engin capable de voyager, du moins théoriquement, dans le temps. La construction du prototype était assez avancée et seul Otto en était informé puisqu’il mettait la main à la pâte aux côtés de Franz.

 

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