Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1956 (5).
Le destin de la Terre se nouait-il en cet instant ? Gregory Williamson, âgé de vingt-sept ans, venait d’être nommé lieutenant instructeur d’artillerie à West Point.
Il savait que la guerre moderne telle qu’on l’entendait devait user du napalm, de défoliants et autres joyeusetés mortelles. Sans s’en douter, il prônait des méthodes de combat qui seraient employées lors de la guerre du Vietnam, et ce serait durant celle-ci qu’il glanerait quelques galons supplémentaires.
Gregory ne songeait toujours pas à prendre femme. Il préférait passer ses longues soirées de loisir à lire des livres de stratégie ou encore l’Histoire romaine de Gibbon.
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Décembre 1956.
La neige tombée en abondance recouvrait les hautes maisons de Detroit. Un froid mordant venu du cercle polaire soufflait sur la ville et la campagne. Le thermomètre était descendu en dessous des – 10° C. Comme tous les matins, Otto décachetait son courrier. Parmi celui-ci, il y avait une lettre venant de Belgique. Le dessinateur Edgar Pierre Jacobs
demandait poliment au baron von Möll dans son anglais quelque peu maladroit pollué par des belgicismes des conseils concernant la réalisation d’une prochaine aventure de ses personnages fétiches Blake et Mortimer. Cette histoire ne verrait le jour qu’en 1960 sous le titre Le Piège diabolique.
L’ami d’Hergé était parfaitement au courant des dernières orientations prises par les recherches d’Otto Möll.
Tandis qu’Edgar P. Jacobs se documentait, Giacomo Perretti, qui avait lu avec le plus grand intérêt l’aventure précédente du dessinateur L’Enigme de l’Atlantide préparait activement son voyage à Lhassa, allant jusqu’à apprendre quelques mots usuels de tibétain.
Toutefois, pour entrer au Tibet, il lui fallait l’autorisation de son gouvernement. Or, le pays dépendait de plus en plus de la Chine communiste. C’était pourquoi le journaliste avait l’impression de perdre son temps devant les obstacles administratifs qui s’accumulaient devant lui.
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6 juillet 1995.
La Terre était bien proche de sa fin. Au sein de la sphère noire, le Commandeur Suprême s’en réjouissait. Dans un dernier coup de poker, les deux Super Grands avaient pris la terrible décision d’envoyer la totalité de leurs missiles sur l’adversaire dans l’espoir secret qu’ils arriveraient enfin à destination. Mais que signifiait donc ceci ? Michaël était parvenu à détourner les ogives, les projetant avec plus ou moins de bonheur dans les différents passés de la Terre.
Drangston et Diubinov étaient-ils donc poussés par un instinct de mort exacerbé ? Voulaient-ils suicider avec eux l’humanité tout entière ? C’était sans compter avec le don d’ubiquité de l’agent temporel.
Des deux côtés, les missiles étaient partis. Comme présagé, le parapluie nucléaire des deux Grands se montrait inopérant. Encore une fois, Michaël allait parer l’attaque. Toutefois, il envoya d’abord un message mental à S 1 :
- J’arrêterai les missiles, mais ensuite, il me faudra un congé. De toute manière, avec cet Armageddon, les humains sont désormais démunis de l’arme atomique pour un petit moment. Ils pourront donc se passer de ma vigilante présence…
- Accordé, répondit sèchement S 1. Mais à la première alerte, vous repartez.
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Toujours en cette apocalyptique année 1995, Stephen Möll rendait visite à sa mère Anna-Eva dans la petite ville du Montana – 1302 habitants sans compter les chats, les chiens ou les chevaux – dans laquelle cette dernière avait trouvé refuge. Il faisait chaud. L’air était lourd et les volets clos de la villa ne parvenaient pas à empêcher la chaleur de pénétrer dans le salon. La petite pièce avait été aménagée avec goût par la vieille femme. Ainsi, le divan s’ornait de carrés de dentelle au crochet et la table basse présentait un chemin bordé de couleur jaune, qui se détachait particulièrement bien sur le bois foncé du chêne. Tandis que Stephen sirotait un thé glacé, Anna-Eva s’inquiétait.
- Je me demande combien de temps cette guerre va encore durer. Quelle folie ! Dire que nous sommes des millions à survivre grâce à Michaël. Mais qui le sait, qui en est reconnaissant ? Au fait, que devient ton ami ?
Stephen répondit entre deux gorgées :
- Mom’, je n’en sais trop rien. Il y a trois jours, il a stoppé je ne sais plus combien de centaines de missiles lancés par ces deux espèces de guignols qui croient nous gouverner, puis il s’est évaporé, sans doute parti se refaire une santé. Ces derniers temps, il était fort pâle, et, entre deux alertes, écoutait du Bach en boucle : le concerto italien, la Passion selon Saint Matthieu…
- Hem. Mais toi, pourquoi es-tu venu me voir ?
- Pour t’avertir que j’allais utiliser une nouvelle fois le translateur. Désormais, l’appareil m’obéit au doigt et à l’œil, réglé sur mes ondes alpha, bêta, gamma et thêta. Il faut que je rencontre Otto, ça urge. Johann van der Zelden a décidé d’en finir avec grand-père. Mom’, ton thé n’est pas fameux.
- Stephen, les problèmes de ravitaillement commencent à se faire sentir jusqu’ici.
- M’en parle pas ! J’en suis réduit à me nourrir de barres protéinées. Tiens, tu as sorti de vieilles revues ?
- J’ai vidé le grenier. Je vais jeter tous ces magazines qui prenaient trop de place.
- Non, mam’ arrête ! Il y a là un numéro de Science et vie qui a l’air intéressant. Oui, regarde, le numéro est daté d’octobre 1959. Splendide ! Il y a un article qui résume le livre de grand-père Demain l’électromagnétisme. Je vais le lire. On ne sait jamais, il peut être utile.
S’allongeant, ou plutôt s’affalant sur le divan, le professeur lut l’article avec la plus grande attention. Au fur et à mesure qu’il progressait, il n’en revenait pas de voir combien son aïeul avait poussé loin ses recherches sur le temps. Tandis qu’Anna-Eva lavait la carafe et les grands verres, une ombre s’interposa entre la lumière venant de la fenêtre du salon et le divan. Surpris, Stephen releva la tête.
- Michaël, déjà de retour ? lança-t-il.
- Pour une minute, pas plus, répondit verbalement l’Homo Spiritus. Vous avez l’intention de rendre visite à Otto. Laissez-moi cette charge. Je me rends en octobre 1957 avertir votre grand-père que deux de ses meilleurs amis, le sénateur York et l’archéologue Mac Garnett sont en danger de mort. Je vais voir si je peux y changer quelque chose.
- Ah ? Avez-vous réellement l’intention de sauver les vies de Robert et de Stephen ?
- Les Douze S ne m’en ont pas donné l’ordre effectif. J’estime qu’il est de mon devoir d’essayer de changer cette variable.
Anna-Eva, qui de la cuisine, avait entendu une autre voix que celle de son fils s’exprimer, retourna à petits pas dans le salon. Elle eut juste le temps de voir Michaël s’estomper pour gagner le passé.
- C’était Michaël ? s’étonna-t-elle. Il aurait pu boire un verre de thé glacé ou un soda.
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Le 16 janvier 1957, le célèbre chef d’orchestre Arturo Toscanini mourait à New York.
Ses obsèques eurent lieu en Italie. Wladimir Belkovsky, qui admirait le fantasque personnage, se rendit à la cérémonie et y pleura abondamment.
Or, au même moment, Pierre Duval prenait connaissance des tout derniers rapports secrets concernant la bataille d’Alger.
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25 mars 1957 : le Traité de Rome était signé par six pays d’Europe de l’Ouest, c’est-à-dire l’Allemagne fédérale, la France, la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et l’Italie. C’était là la naissance du Marché Commun ainsi que la création de l’Euratom.
En cette même année 1957, la torture était dénoncée avec véhémence en Algérie. Aucune guerre n’est propre. Le peuple français était en train de s’en rendre compte.
Le 29 avril impression vraie ou fausse, les choses semblaient s’arranger au Proche-Orient. En effet, Nasser faisait rouvrir le Canal de Suez à toutes les nations sauf une : l’Etat d’Israël.
Parallèlement, en France, le 21 mai, Guy Mollet était renversé, non pas sur le problème algérien mais sur une question d’économie. Le pays devrait attendre le 12 juin pour avoir un nouveau gouvernement et un autre Président du Conseil investi par la Chambre.
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En ce début du mois de juin, Pierre Duval se trouvait justement en Algérie pour une mission qui ne relevait pas du SDECE. Il rencontrait dans le plus grand secret, dans la banlieue d’Alger, plus précisément dans une belle propriété d’Hussein Dey, trois chefs FLN. Bizarre. Puis, il donnait aux trois hommes un chèque de dix millions de francs tiré sur une banque suisse ayant un de ses sièges à Paris.
- Bientôt, conclut-il son entrevue, vous seront livrés cinq cents fusils mitrailleurs Kalachnikov. Faites-en bon usage…
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Le terrible et mortel attentat de la Corniche à Alger se produisit le 9 juin.
En URSS, Monsieur K. avait pris la décision d’épurer le Politburo. Ainsi Molotov et Malenkov, deux vieux staliniens, se retrouvèrent-ils démis de toute fonction.
Le 24 septembre 1957, le général Massu avait gagné sa bataille d’Alger. Yassef Saadi, un des chefs du FLN, était arrêté. Il passerait quelques années en prison.
Parce que la loi-cadre sur l’Algérie n’était pas acceptée par le Parlement, le gouvernement Bourgès-Maunoury était renversé. Ainsi allaient la politique sous la IVème République. Elle traînait une guerre qui ne voulait pas dire son nom comme un boulet.
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Pierre Duval, officiellement chargé par ses supérieurs français de rencontrer un membre important de la CIA concernant une affaire d’espionnage liant les Etats-Unis et leur alliée la France, se préparait à prendre l’avion pour New York. En fait, l’agent du Commandeur Suprême avait fait coïncider cette mission avec les ordres de son véritable suzerain, l’Entité du 41ème millénaire. Le féal devait donner le feu vert à tous les tueurs du KGB undecover sur le territoire des Etats-Unis afin que ceux-ci prennent en chasse Otto et ses amis pour ensuite les éliminer. Mais Sergueï outrepassait quelque peu les directives de la monstrueuse sphère noire. Des tueurs allaient tenter d’en finir une bonne fois pour toute avec Franz von Hauerstadt et l’ex-baron.
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