Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1952 (2).
En 1952, à Palenque donc, l’archéologue Alberto Ruz se heurtait à un mur solide tout en pierre et ciment, un mur qui obstruait entièrement le couloir du tombeau sur lequel lui-même et son équipe s’acharnaient à mettre au jour depuis des mois.
Or, derrière ledit mur, tout au fond du corridor, qui ne serait dévoilé qu’à la fin de cette même année 1952, se trouvait la fameuse stèle triangulaire, la plaque commémorative du prince maya Pacal, prince qui reposait encore dans ce tombeau inviolé.
Comme nous l’avons vu précédemment, Zemour Diem Boukir, dédoublé, vivait à la fois en 683, dans la peau de ce prêtre-juge inflexible mais aussi en 1952 en tant que simple terrassier où il participait aux travaux de déblaiement dudit sépulcre.
Or, après tant de sueur et de peine, la découverte fondamentale de la stèle princière eut enfin lieu.
Immédiatement, en zélé serviteur qu’il était, Zemour Diem Boukir envoya son rapport à Johann. Mais celui qui le reçut n’était pas le van der Zelden de 1993 mais bien celui de 1995. Ce Johann plus âgé se trouvait en effet le 7 septembre 1993 au domicile privilégié de son alter ego. Pourquoi donc un tel imbroglio ?
L’Ennemi venait tout juste de se tirer d’un piège qu’il avait lui-même tendu contre Michaël. Mésestimant son adversaire, il s’était substitué à lui quelques cinq millions d’années dans le passé, en plein rift africain, affrontant des hordes épouvantées d’Australopithèques Anamensis et d’Ardipithèques, accompagné des hommes robots chasseurs des années 3005 et quelques, dépités de l’absence de leur victime prévue à l’origine.
La vengeance de Johann, consécutive à cet échec, nous la connaissons déjà et nous en avons eu un large aperçu, la capture de l’agent temporel de 1993 par les Soviétiques de Diubinov.
L’Ennemi savait pertinemment que l’Homo Spiritus allait se sortir de ce traquenard. Son objectif consistait à la prise d’un avantage stratégique par les Russes au début du conflit comme l’invasion de l’Europe du Nord et la destruction de cinq ou six grandes villes de l’Union européenne, ce que Michaël aurait évité s’il avait été libre de ses mouvements.
Or, changer le cours de l’Histoire n’était tolérable ni pour le Commandeur Suprême ni pour les Douze Sages. Ces derniers savaient pertinemment que leur agent temporel allait outrepasser les ordres. Ils escomptaient cela bien qu’ils s’en défendissent. Agissant a minima, ils s’étaient contentés de lui sauver la vie. Malgré la rébellion manifeste du Commandeur Suprême, les S continuaient de le laisser l’agir, se contentant de l’observer. Attendaient-ils que l’Entité allât trop loin et que, l’orgueil aidant, elle bouleversât en totalité l’histoire de la Terre pour son bénéfice propre ?
Une donnée échappait à tous ces protagonistes et elle était de taille. Le Grand Ordonnateur prenait plaisir à embrouiller le jeu…
Qu’il se fût agi des Homo Sapiens de ce XXe siècle final, du Commandeur, de l’ensemble des agents temporels jusqu’au dernier exemplaire, le plus perfectionné de tous, ils ne jouaient qu’une partie d’échec menée par une supra Entité solitaire et indétectable. Ceci testait les potentialités de ce temps-là, de cette humanité-ci, sur cette Terre, cible et terrain de jeu préféré de l’Esprit inconnu.
Ainsi, à ce stade de notre histoire, elle paraissait plutôt avoir favorisé l’Ennemi, qui permettait la situation militaire de 1995 dans laquelle l’humanité frôlait l’extinction. Là, peu importait du camp qui devait remporter la victoire : le Monde libre ou la Dictature communiste.
En fait, la véritable mission de Michaël était d’empêcher la destruction de ce monde-ci, de ce modèle à l’essai.
Johann van der Zelden reçut le message de Zemour. En entendant les propos de son homme robot, il esquissa à peine un sourire et passa à autre chose alors que ses pensées s’attardaient sur cette relative bonne nouvelle.
« Viens donc, très cher ennemi. Le piège est tendu. Ne te fais pas désirer », soliloqua-t-il.
Délaissant alors le contrôle de ses bénéfices pour la semaine en cours, l’homme d’affaires ordonna par interphone à sa secrétaire particulière qu’il ne voulait pas être dérangé par quiconque pendant au moins une heure.
Reprenant son monologue, Johann marmonna :
« Je vais essayer ces nouvelles caméras trans temporelles pour observer les faits et gestes de Michaël. Connaissant ses facultés, il est tout à fait capable de les détecter et de les neutraliser en moins d’une pico seconde. Mais je tente le coup ».
Comme prévu, à peine les caméras quadridimensionnelles déclenchées, les écrans ne montrèrent qu’un brouillage neigeux digne d’un poste de télé archaïque en 819 lignes.
« Un coup pour rien ! », soupira l’Ennemi. « Parfois, ma naïveté m’étonne moi-même ».
Abandonnons Johann à son insatisfaction et occupons-nous des actions de l’agent MX.
Celui-ci quitta l’an 1995, se portant au secours d’Archibald, étant parvenu à déterminer avec une facilité déconcertante la portion d’espace-temps improbable et démentielle dans laquelle le fils cadet d’Otto se trouvait enfermé. Pour accomplir cet exploit, il lui fallut moins d’une nano seconde. Encore avait-il musardé… il avait également analysé la nature de l’appareil dont Zemour s’était servi pour projeter le captif dans cet outre-lieu : un émetteur inter temporel à rayonnement multiple, de conception sophistiquée, l’apparentant à un objet relevant de la deuxième civilisation post-atomique, celle des cyborgs. Curieux cyborgs, en fait ! On aurait pu les croire influencés par une célèbre série bidimensionnelle américaine des années 1980-1990.
Pour Michaël, la sophistication de l’appareillage de Zemour était dérisoirement primitive, comme quoi tout était relatif selon le protagoniste.
- Comme Johann me déçoit ! Pensa notre agent du 41ème millénaire.
Sous l’impulsion de sa seule pensée, l’Homo Spiritus détraqua l’appareil pseudo-sophistiqué comme s’il s’était agi d’un jouet de maternelle destiné à un enfant de deux ans. Cela s’apparentait à donner un coup de pied à un lapin mécanique.
A Palenque, en 1952, Zemour, sous la pelure d’un simple terrassier amérindien, s’évapora sous les yeux ébahis de ses compagnons. A son tour, le robot biologique se retrouva prisonnier de la dimension démentielle. Il eut beau faire, il ne put en sortir.
Michaël s’était contenté d’un échange trans temporel entre Archibald et lui. Il en profita également pour intercepter les archives et méta banques de données de Zemour ; celles-ci concernaient l’ensemble des civilisations précolombiennes depuis les Chinchorros
jusqu’à Tupac Amaru.
Elles étaient emmagasinées sous la forme d’un micro flux d’ondes aux douze couleurs du spectre classique. Puis, l’agent des Douze Sages stocka ces quanta de lumière ainsi qu’Einstein les qualifiait dans un micro boîtier de calcite pure qui, à l’échelle moléculaire, n’excédait pas la taille d’un poil de patte de mouche.
Lorsqu’il sentit cela, Johann fulmina. Dépouiller le Commandeur Suprême de ces mémoires-là équivalait à leur ôter toute capacité d’existence réelle. Ces civilisations n’étaient désormais même plus une potentialité, le Commandeur étant dépourvu de cette information, ne pouvait détruire ce qui n’existerait pas. Curieusement, lorsque l’Ennemi lui rendit compte de l’événement, la Sphère noire apparut indifférente. De fait, elle possédait déjà ces données sous la forme d’un duplicata adressé par son séide de 1998.
Johann avait donc oublié un fait : l’ubiquité du Commandeur… ou tout simplement cette qualité du véritable concepteur du Jeu… il demeurait prisonnier de chaînes rigides, d’un axe temporel unique, bien qu’il pût être manipulé. Disons que nous avions affaire à une flèche dont les barbelures s’étendaient jusqu’à la pointe, chaque barbelure représentant une déviation possible de ladite flèche.
L’Entité maîtresse du scénario avait bridé sciemment celui-ci. Elle ne pouvait tolérer la moindre perte définitive d’information. Elle existait pour cela… elle avait donc trouvé une parade pour contourner la semi-liberté de son presque alter ego…
*****
Le 16 juin 1952, Franz von Hauerstadt venait d’éteindre le poste de radio après qu’eut été annoncé le réarmement de la RDA par l’URSS. Il était occupé à rédiger une lettre à l’attention de ses grands-parents maternels. La missive commençait ainsi :
« Chère Granny,
Je vous ai négligée depuis trop longtemps, veuillez me pardonner. Il est vrai que j’étais fort occupé, me partageant entre les Etats-Unis et l’Allemagne… ».
Sa colère se ressentait par une écriture plus nerveuse que d’habitude et par le grincement de la plume d’or de son Parker sur le papier. Elisabeth remarqua sa mauvaise humeur et fit :
- Nous n’y pouvons rien, Franz.
- Je le sais bien, Lisbeth. Mais les Soviétiques sont tout à fait capables d’entraîner mon pays dans un conflit absurde… peu d’informations filtre sur ce qui se passe réellement de l’autre côté du rideau de fer. Or, chaque jour, nous accueillons des réfugiés en plus grand nombre en provenance de Berlin-Est. Les Soviétiques veulent rendre les Allemands communistes. Ils vont s’y casser les dents…
- Mon chéri, il y a des opportunistes partout.
Revenant à son courrier, Franz acheva sa lettre.
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Zemour Diem Boukir provisoirement hors-jeu, Archibald revint au bercail en octobre. L’agent temporel avait remis les compteurs presque à zéro, effaçant l’appendice temporel aberrant dans lequel l’homme robot s’était substitué à l’apprenti baroudeur. Il avait refermé cette micro chronoligne avortée. A l’occasion des retrouvailles avec son fils prodigue, Otto Möll donna une réception mémorable. Invitant les von Hauerstadt et leurs trois enfants ainsi que ses autres amis, à l’exception de Stephen Mac Garnett occupé à des recherches sous-marines dans l’Océan Indien, il vit arriver Franz accompagné d’un très vieux monsieur, Raoul d’Arminville, toujours bon pied bon œil malgré ses soixante-dix-huit ans au compteur. L’ex-cambrioleur voulait revoir une dernière fois les Etats-Unis et les amis de son fils biologique.
En dépit de toutes les sollicitations durant le repas que nous ne détaillerons pas, Archibald se montra incapable de construire un récit cohérent de son aventure. Il ne demeurait en lui que des bribes, des flashs, comme si on eût effacé partiellement sa mémoire. Cela était dû à la remise en place de la chronoligne par Michaël. Dietrich et Anna-Eva crurent que le cadet avait l’esprit dérangé par sa mésaventure. Mais Franz, plus ouvert, comprit le phénomène dont avait été victime le jeune homme. Dans la soirée, il le prit à part et se mit à discuter avec lui, le mettant en confiance. Cette attitude du duc allait faire naître une amitié sincère et durable entre les deux hommes.
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Le 4 novembre 1952, le Républicain Eisenhower fut élu
président des Etats-Unis. Le général avait été donné vainqueur d’avance face au
candidat démocrate Adlaï Stevenson. Il s’agissait d’une des rares fois où les
instituts de sondage ne s’étaient pas trompés.
En France, à la fin de cette même année, un certain
Pierre Duval fut nommé à un poste important au SDECE. C’était un homme encore
jeune, passionné de grande musique, ne dédaignant pas à participer lui-même à
quelques ensembles de chambre tels que trios ou quatuors à cordes.
Quelques années plus tard, il allait rencontrer Franz
et, la musique constituant un merveilleux terrain d’entente, les deux hommes
seraient fort liés durant quelques temps. Or, Pierre Duval était un agent
double, major des services secrets soviétiques et avait pour nom véritable
Sergueï Antonovitch Paldomirov. En 1958, il atteindrait le grade de colonel
dans le KGB.
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