Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1946 (5).

 

Dès ce même matin, Otto Möll fit visiter son entreprise à Franz von Hauerstadt. Il en profita également pour le présenter à ses employés et particulièrement à ceux du secteur Recherche et Développement dans lequel le jeune Allemand officierait. Si les chercheurs étaient sur leur réserve, s’ils toisèrent froidement tout d’abord la nouvelle recrue de leur patron, bien vite cependant, ils se lièrent d’amitié avec Franz, oubliant à la fois sa nationalité et leurs préjugés sur son passé qu’ils supposaient agité car le jeune homme se montrait très doué et fort assidu. Lentement mais sûrement, von Hauerstadt parvint à imposer ses idées neuves, nullement encombré par la routine. Ses solutions des plus hardies trouvèrent des applications qui firent gagner du temps et de l’argent à l’avionneur. 

Vue de l'avion.

Mais le domaine de prédilection de Franz restait la physique quantique et ses possibles mises en pratique dans le domaine du déplacement à la fois dans l’espace et dans le temps. Ainsi, dans le secret des laboratoires, il tentait de mettre en place un véhicule totalement révolutionnaire, ce qui allait donner le translateur temporel.

Mais la famille von Hauerstadt n’en était pas encore là, ayant pour l’heure des préoccupations plus prosaïques et tout d’abord louer un logement pas trop onéreux. Ensuite, Franz dut repasser son permis de conduire, le sien n’étant pas valable aux States. Pour le jeune homme, ce ne fut qu’une simple formalité.  

La photographie datée du 15 mai 1946, qui atterrit dans les mains de Michaël, fut prise, et sur celle-ci, figurait Franz en bonne position aux côtés de son patron, Otto. Les deux hommes portaient des blouses blanches tandis qu’à l’arrière-plan se trouvait un des prototypes d’avion à réaction sur lequel l’équipe d’ingénieurs de mister Möll travaillait.  

 Vue de l'avion.

Le week-end suivant, alors que le médecin avait conclu que madame von Hauerstadt était bien enceinte, et que la jeune femme devait se gaver de vitamines, tandis que l’avionneur avait invité quelques connaissances à passer cette fin de semaine chez lui, l’ex-officier de la Wehrmacht régalait toute l’assistance de quelques petits morceaux exécutés sur son violon : la berceuse de Brahms, Rêverie de Schumann, un Caprice de Rode, et enfin, un extrait illustre du célèbre Concerto Le Printemps de Vivaldi. Ce répertoire n’était qu’une mise en bouche pour Franz qui avait encore besoin de travailler sa technicité avant de retrouver son agilité d’autrefois. Lorsque ce serait fait, d’ici quelques années, il donnerait des concerts nettement plus élaborés pour le plus grand plaisir de tous les membres de l’association utopiste d’Otto, faisant alors preuve d’une virtuosité époustouflante, venant à bout avec une maestria digne d’éloges des morceaux les plus ardus mais aussi les plus beaux, comme la Grande Chaconne de Bach… 

 peinture : Bach en 1715

 

*****

 

Juillet 1946.

Dans son bureau personnel de la banque Rosenberg-Athanocrassos, dont désormais le siège se situait à New York, Georgios semblait soudain absent. En fait, la force psychique de Johann van der Zelden était en train d’investir l’homme d’affaires. Ainsi, l’Ennemi ordonnait mentalement ce qui suit sans que le banquier en ait conscience :

- Dès aujourd’hui, vous devez cesser toute aide financière à Otto von Möll. Celui-ci est un cryptocommuniste et il est manipulé par des agents du NKVD camouflés chez nous.

Dès le lendemain, Rosenberg et Athanocrassos discutaient âprement.

- Monsieur Rosenberg, pardonnez-moi de ma montrer si catégorique, mais vous avez tort. Notre banque ne doit plus accorder de prêts à taux préférentiels à la firme aéronautique d’Otto von Möll.

Rosenberg marqua son étonnement devant ce changement.

- Georgios, je ne comprends pas les raisons de cet abandon. Sur quelles preuves vous appuyez-vous donc pour penser et dire que mister Möll n’est pas un bon Américain ?

- Je dispose d’informations solides et vérifiables, monsieur. Vous ne nierez pas que le directeur de la Flying Power von Möll’s Society est fort lié avec les savants Oppenheimer et Einstein. Or, ces derniers critiquent ouvertement l’attitude du Président Truman vis-à-vis de l’URSS. Ainsi, j’ai donc jugé que mister von Möll n’était plus un élément sûr. Après tout, s’il a des ennuis financiers, il a tout le loisir de solliciter l’aide de l’Etat. Quant à nous, nous devons nous préoccuper davantage d’un contrat fabuleux qu’il nous faut mener à terme avec deux firmes japonaises bien prometteuses. Dans les prochaines années, le Japon sera notre plus sûr allié en Extrême-Orient. Je n’ai aucun doute là-dessus.

- Soit, Georgios, vous avez toujours été de bon conseil. Je me range donc à votre avis.

On s’en doute, Otto Möll reçut fort mal la nouvelle de la cessation de son financement par Rosenberg et Athanocrassos. Alors, tous ses ressentiments envers le second mari de son ex-femme remontèrent à la surface. Une fois encore, le banquier devint un ennemi. Notre PDG se vit contraint à licencier une partie de son personnel mais pas celui rattaché à la R & D. Mais pour se remettre à flots, il lui fallait innover, et ce, rapidement. Alors, il n’hésita pas à promouvoir sa nouvelle recrue, c’est-à-dire Franz von Hauerstadt, directeur de recherches. En effet, les idées révolutionnaires du jeune homme dans la conception d’un nouvel avion pouvaient lui sauver la mise.

Parallèlement, l’ex-majordome d’Otto, Sébastien, débarquait à l’aéroport de New York, au service de Xaxercos.

Satisfait, l’homme robot put faire son rapport à Johann van der Zelden, le Johann de 1995. L’appel de l’homme synthétique provenait, lui, du 30 juillet 1946.

- Maître, nous avons désormais une nouvelle recrue. L’individu en question se prénomme Sébastien. Il s’avère qu’il déteste tout particulièrement Otto. Quelle tâche puis-je lui confier ?

- Je connais ledit Sébastien, fit van der Zelden sur un ton peu amène. Si je me souviens bien, il était l’employé de feu David van der Zelden, mon malheureux grand-père. Alors, voici. A vous de vous arranger pour que ce Sébastien entre en contact avec les services secrets soviétiques. Au plus vite.

- Oui, maître…

- Ce bonhomme fera un parfait espion. Il s’arrangera pour livrer les plans des avions d’Otto à l’URSS. Il nous faut acculer la compagnie de l’ex-baron à la faillite. Rappelez-vous, Xaxercos, que, très bientôt, débutera la chasse aux sorcières et que la Guerre froide approche à grands pas. Encore quelques mois…

- Compris, maître… mais… ne pourriez-vous pas me communiquer de plus amples informations sur ce qu’est justement cette guerre froide ?

- Franchement, Xaxercos, vous avez tous les fichiers nécessaires pour savoir ce qu’il en est. Alors, cessez de m’importuner avec des détails.

Penaud, l’homme biologique synthétique salua son maître et Johann rompit la communication intertemporelle. Avec une certaine impatience, le richissime financier marmonna :

- Je commence à me lasser de l’ignorance de mes aides. Chaque fois, il me faut tout leur expliquer. Les lacunes de mes hommes robots en matière d’histoire sont effrayantes. Ce Xaxercos semblait tomber des nues. Il ne savait pas, ce benêt, qu’il approchait de la période du maccarthysme. Bon sang ! Je ne peux tout de même pas tout faire moi-même… que je sache, tous mes aides ont été préalablement programmés par le Commandeur Suprême. Dans ce cas, qu’est-ce qui cloche chez eux ?

 

*****

 

Le 1er août 1946 voyait l’échec des négociations franco-vietnamiennes de Fontainebleau. Le 1er octobre de cette même année, la Haute Cour de Nuremberg rendait enfin son verdict. Il y manquait Adolf Eichmann parmi les condamnés, le criminel étant toujours libre quelque part dans le monde, mais aussi Martin Bormann. Pour celui-ci, nul ne savait ce qu’il était devenu. 


Tout naturellement, Otto Möll applaudit au verdict. Il le trouvait équitable. Mais Franz se montra plus critique et plus sceptique. Lui jugeait, avec raison, que les peines n’avaient pas été assez sévères, proportionnellement aux horreurs commises. En URSS, il en avait eu un aperçu et il en resterait à jamais marqué. Il s’en ouvrit à son patron et son ami sans équivoque, n’hésitant pas à lui révéler ce qu’il avait vécu près de Stalingrad. Cette fois-là, Otto se montra compréhensif, faisant preuve de d’empathie envers le jeune homme tourmenté par son terrible passé.

Giacomo Perretti, le journaliste italien, avait couvert les reportages du procès de Nuremberg. Au service du Corriere della Sera, il rédigea de nombreux articles et en lisant bien sa prose, les lecteurs comprenaient que lui aussi trouvaient les peines trop légères, du moins pour quelques-uns des accusés et, notamment, Albert Speer.

 Illustration.

 Quant au suicide du Maréchal Goering, il n’hésita pas à accuser ses gardiens de négligence.

 

*****

 

Le 13 octobre 1946, un troisième référendum avait lieu en France. Enfin, la Constitution de la IV e République était adoptée.

Le 23 novembre, le bombardement de Haiphong rompait le modus vivendi de Fontainebleau et, le 28 novembre, Georges Bidault démissionnait du gouvernement. Le 10 décembre, il fut remplacé par Léon Blum… il s’agissait surtout de rendre hommage au courage de ce grand homme politique, rescapé à la fois de Vichy et des camps de concentration. 

 Illustration.

Mais voici que débutait la douloureuse guerre d’Indochine qui ne se terminerait qu’à l’été 1954. Avec ce conflit, la France prendrait conscience qu’elle n’était plus qu’une puissance de seconde zone.

 

*****

 

14 Janvier 1947. Detroit.

Elisabeth von Hauerstadt mettait au monde son deuxième enfant, une fille, dans une clinique privée de Detroit. L’accouchement fut moins mouvementé que le premier près de deux ans auparavant. Le nouveau-né fut prénommé Cécile, Amélie, Alice, Mathilde. Il s’agissait d’un magnifique bébé de près de huit livres, aux yeux apparemment aussi bleus que des myosotis et au duvet blond. Si Lisbeth se montra déçue de ne pas avoir donné de fils à Franz, ce dernier accueillit la petite fille avec la plus grande joie. Le père avait assisté à la naissance de l’enfant, ce qui avait étonné le médecin accoucheur, peu habitué à voir le géniteur le faire. Cela n’était pas encore entré dans les mœurs.

Chose nouvelle pour la mère, cette fois-ci, elle avait du lait à revendre, sans doute parce que, désormais, elle mangeait davantage à sa faim. Elle n’était donc plus une nourrice sèche.

Trois jours après l’accouchement, dans une chambre individuelle, la parturiente recevait la visite de son mari. Le jeune homme était accompagné de François qui s’était empressé de se jeter dans les bras de sa mère. Le petit garçon quémandait des caresses et des bisous, sevré de la présence de sa chère maman depuis trois jours.

- François, ne veux-tu pas embrasser le bébé ? S’enquit Lisbeth.

- Voui… fit le garçonnet en hésitant.

- Maintenant, tu as une petite sœur, compléta Franz en souriant. Comprends-tu ?

- Oui… eine kleine Schwester…

- Dis-le en français ou en anglais, demanda la maman.

- Euh… une petite sœur… a little… sister…

- Très bien, François, le complimenta Franz. Tu vas devenir trilingue bien plus vite que ce que j’attendais…

Alors que François montait sur le lit d’Elisabeth et donnait deux bisous à Cécile, les deux parents abordaient le sujet de la naissance du bébé.

- Franz, je regrette tant de ne pas t’avoir donné de fils… un garçon vraiment de ton sang.

- Ma Lisbeth, je ne suis pas déçu du tout. Jamais je ne ferai de différence entre les deux enfants, François et Cécile. Ils recevront la même éducation, le même amour de ma part, je te l’assure. Regarde notre fils. Il est tout heureux d’avoir une petite sœur. Lui ne se pose pas autant de question.

- Tu ne dis pas cela pour me rassurer, au moins ?

- Depuis le temps, tu ne devrais pas autant douter de moi… tu me connais fort bien, non ?

- Oui, bien sûr.

- Tant mieux. Mais ce n’est pas de cela dont je voulais t’entretenir. J’ai envoyé un télégramme à Fontainebleau et j’ai eu la réponse.

- Alors ?

- Mon amour, Granny est d’accord. Elle accepte d’être la marraine de Cécile.

- Comme c’est gentil à elle. Mais qui sera le parrain ?

- Otto. Cela te satisfait-il ?

- Bien évidemment. Pourquoi serais-je opposée à ton choix ? Il m’agrée tout à fait. 

- Quant à la cérémonie du baptême, j’avais pensé au village de Malicourt, à cause du grand-âge de Granny et de grand-père…

- Ma foi… mais ton patron, cela ne va-t-il pas le déranger ?

- Pas du tout. Il a hâte de connaître et ma famille survivante et Paris et sa région où il n’est jamais allé. Pour lui, c’est l’occasion rêvée.

- Bon… Puisque cela satisfait monsieur Möll. Au fait… à quelle date le baptême ?

- Pour les fêtes de Pâques… cette année, ce sera le 6 avril…

- Entendu. Je crois que ce sera merveilleux de revoir mon pays.

- Notre pays, mon amour.

Alors, Franz embrassa tendrement Elisabeth et, ensuite, prit Cécile dans ses bras et la caressa avec amour.

 

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