Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1946 (4).

 

Ce matin-là, dans la cuisine, en pyjama, William O’Gready prenait un copieux petit-déjeuner à l’américaine. Dans son assiette, il y avait des œufs au bacon et des saucisses grillées. Devant lui, un bol de corn flakes,

 Kellogg's Corn Flakes, with milk.jpg

sur lesquels il avait versé du lait froid, débordait. Mais ce n’était pas tout. Un verre de jus d’orange avait été avalé ainsi que deux tasses de café noir, bien serré. Tandis que le militaire faisait un sort à ses œufs au bacon, des pas feutrés dans la cuisine, puis une voix aimable fort distinguée lui dit :

- Hello, mister O’Gready. Good morning…

Machinalement, Bill répliqua, sans lever les yeux :

- Good morning to you…

Cependant, le lieutenant-colonel, ayant achevé sa copieuse assiette, se rendit compte que ce n’était pas son vieil ami Otto qui s’était exprimé, mais ce jeune arrogant d’ex-officier allemand, ce von quelque chose qu’il abhorrait tant.

- Ah… It is you… je ne vous dis pas merci pour votre bonjour, pékin de nazi. Je ne suis pas content de vous voir, vous savez…

- Je m’en doute car rien qu’à vous voir changer de couleur, je sais que vous êtes fâché, rétorqua Franz sans hausser le ton de sa voix.

- Pour vous, ce sera colonel…

- Même lorsque, comme maintenant, vous n’êtes pas en uniforme ?

- Oui ! Je suis un militaire d’active et fier de l’être…

- Jamais je ne me permettrais de vous reprocher la carrière que vous vous êtes choisi, colonel, fit le duc von Hauerstadt avec son demi-sourire.

Tout en se servant non des œufs au bacon, mais une grande tasse de café et un verre de jus d’orange, le jeune homme prit place assez loin de Bill O’Gready. Sur la table un journal traînait. Il évoquait la situation internationale non en première page mais en page quatre. Intéressé, Franz prit le quotidien et commença à le lire. Ses yeux se portèrent sur ladite page mentionnée. Un reportage faisait allusion à ce qui se passait dans la zone soviétique allemande. Le journaliste y décrivait à mots couverts les difficultés rencontrées par les autochtones pour se ravitailler alors que dans la zone américaine, la situation semblait s’améliorer. 

Description de cette image, également commentée ci-après

Discrètement, Franz soupira mais ne fit aucune réflexion. Mais William avait saisi que le jeune homme était ennuyé par ce qui était rapporté par le journaliste. Poussé par son démon intérieur, l’Américain jeta :

- Mister… von… Hauerstadt, ce que vous lisez ne semble pas vous plaire… si vous êtes si contrarié, pourquoi ne retournez-vous pas là-bas, dans votre foutue patrie ? Vous pourriez empirer les choses, non ?

- Les Etats-Unis ont accepté de me voir débarquer… j’ai donc l’intention de m’installer dans votre pays…

- Je me demande encore comment vous avez fait pour obtenir ce visa !

- Oh ! Peut-être parce que je parle plus que couramment votre langue et que je suis diplômé de deux universités. En physique, tout comme votre ami mister Möll…

- Ouais… c’est ça…

- A mon avis, les Etats-Unis se préparent à un nouveau type de guerre… pour cela, ils ont besoin de tous les cerveaux occidentaux… Vous avez sûrement entendu parler du discours de mister Churchill à Fulton, de son fameux rideau de fer qui s’est abattu sur l’Europe…

- A qui la faute ? Si l’URSS a pu s’enfoncer aussi profondément sur le Vieux Continent, c’est bien parce que vous, les Allemands, n’avez pas été à la hauteur… 


- Hum… colonel, il faudrait savoir… vous détestez les nazis mais vous leur reprochez également de n’avoir pas su faire le poids face aux soldats de l’Armée rouge…

- Vous étiez commandés par un ramassis de nuls, Hitler étant le premier du lot.

- Je partage votre point de vue, colonel.

- Moui… Vous dites cela aujourd’hui… mais hier, ce n’était pas le cas.

Franz comprenait parfaitement où O’Gready voulait en venir. Mais il ne tomba pas dans le piège. Le jeune homme se contenta de finir sa tasse de café au lieu de répondre. Ce fut alors qu’Elisabeth, ayant passé une robe de chambre, pénétra à son tour dans la cuisine. La jeune femme avait pris le temps de se peigner. D’un signe de tête, elle salua l’espèce de colosse châtain qui mangeait goulûment son bol de céréales et s’assit auprès de son époux.

- Veux-tu quelque chose, mon amour ? demanda Franz en français.

- Euh… Je ne sais si je vais avaler quelque chose… je me sens barbouillée.

- Ce n’est pas bon de rester l’estomac vide, ma chérie… prends un verre de jus d’orange… et peut-être un fruit… il y a des pommes et des bananes sur la desserte…

- Pour te faire plaisir, mon chéri.

Tandis que Franz servait Lisbeth, Bill lança tout de go :

- Voici donc la petite Française.

- Oui ? fit le duc.

Le ton sur lequel ce simple « oui » avait été dit, fit frissonner William. Quoi qu’il voulût rajouter, ses paroles restèrent coincées en travers de sa gorge. D’un haussement d’épaules, le colosse se leva et gagna le salon.

- Ouf ! Murmura Lisbeth. Ce type me fait peur.

- Tu n’as rien à craindre, meine Liebchen.

- Je l’espère, Franz. Où est monsieur Möll ?

- Pas encore levé, je suppose. Il n’est que six heures trente du matin…

- Au fait, Sonntag a disparu. J’ignore où il s’est planqué. Ton chat est assez trouillard, non ?

- Réaction normale, Elisabeth. Laisse-lui le temps de prendre ses repères.

Or, juste à cet instant, les deux jeunes gens sursautèrent car un horrible cri venait d’être poussé dans le salon. Que s’était-il donc passé ?

Pour le savoir, revenons quelques secondes en arrière.

Dépité, William O’Gready était entré dans la pièce confortable et, avisant une revue sur la table basse, l’avait prise. Puis, en bâillant, il avait voulu s’asseoir dans le fauteuil qu’il choisissait habituellement chaque fois qu’il était l’hôte d’Otto. Naturellement, il ne s’était pas aperçu que le siège style Bauhaus était déjà occupé…

 

justement par Sonntag. Le félin, lové en boule, avait décidé, dans son petit crâne, que ce fauteuil lui servirait désormais de refuge et de couche… alors, tandis que Bill posait son postérieur fessu sur le cuir, le chat lui avait administré un sacré coup de griffes. Ensuite, il avait miaulé sa désapprobation de se voir ainsi dérangé dans son repos. 

 

- Ouille ! Avait hurlé Bill à pleins poumons. Ce monstre m’a griffé. Bon sang ! Fous-le camps de là… sale bestiole. Je vais numéroter tes abattis. Je saigne… foutu chat !

Alors, une voix retentit. Elle s’exprimait en français et n’appartenait à aucun des acteurs présents sur le plateau numéro 8.

- Bon Dieu ! Ton texte, Bernard ! Ton texte.

- Quoi, mon texte ! Je vous dis, Henri, que ce monstre caractériel m’a blessé. Où est le docteur O’Rourke ?

- Tu n’exagérerais pas un peu ?

- Foutre non ! Bordel ! Tu veux voir mon fessier ? Je saigne pour de vrai, te dis-je.

- Hum… encore un tour de Ufo… Renate, essayez de déloger ce chat du fauteuil.

- Pourquoi moi ? Questionna la scripte de service. Je n’aimerais pas être aussi griffée que monsieur Fresson. C’est qu’il est dangereux ce chat.

- Oui, bon… j’ai compris. C’est moi qui m’y colle, grommela le réalisateur. Heureusement qu’il ne s’agissait que d’une répétition…

Lentement, Henri se dirigea vers le fauteuil dans lequel Ufo était vautré, ses yeux bleus vous toisant et vous défiant avec comme un sourire dessiné sur son museau. L’animal familier de Daniel Lin pensait :

« Ce fauteuil, il est à moi… on m’a dit de m’y allonger. Je n’en bouge plus… j’y suis trop bien dessus… ».

 Le chat dans la société - Wikichat

Naturellement, Henri Verneuil

 Henri Verneuil — Wikipédia

n’obtint rien du félin et Renate non plus. De son côté, Bernard, ayant demandé le secours de Pierre, échoua dans cette tâche ingrate de faire déguerpir Ufo du siège. Daisy Belle, à son tour, allait s’en mêler lorsqu’une voix ironique lança : 

 Description de cette image, également commentée ci-après

- Eh bien, dites donc, les amis. On dirait que vous êtes dans la mélasse. Je l’ai toujours pensé. C’était folie que de vouloir attribuer un rôle à cet Ufo. O’Malley aurait su qu’il fallait faire semblant, lui.

- Toi, fiche le camp ! Ordonna la jeune comédienne à Deanna Shirley. Tu n’as rien à faire ici. Nous sommes en répétition. 

 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/a/a7/Joan_Fontaine_1942.jpg

- Oh… C’était juste pour savoir comment tu t’en sortais dans ton rôle de Marie couche-toi-là… en tout cas, ce costume te va à ravir… Tu es d’une mocheté avec…

- Je t’ai demandé de partir. Tu retardes toute l’équipe avec tes remarques inappropriées, ma très chère petite sœur.

Pendant ce temps, Renate était parvenue à recevoir une estafilade de la part du chat des forêts norvégiennes. Plus têtu que jamais, Ufo restait dans le fauteuil tout en feulant et en ayant hérissé sa queue et son poil,

 Chat se hérissant et courbant le dos.

ce qui le faisait paraître encore plus imposant et menaçant. A la seconde où Henri désespérait de ne pouvoir reprendre la répétition, Daniel Lin apparut enfin sur le plateau, comme par magie. Immédiatement, il s’en vint se saisir de son animal familier. Mais, chose tout à fait incroyable, le félin marqua sa colère en dévisageant son maître et en se faisant tirer l’oreille pour lui sauter dans les bras.

- Oui, je sais, murmura le Superviseur. Tu espérais te la couler douce ici, sur le plateau. Mais tu t’es montré cruel envers les humains, Ufo. Tu as agi comme le chat dingue de Gaston. Vois un peu comment tu as blessé Bernard. Tu mériterais que je te prive de ton dîner, ce soir.

A ces mots, Ufo miaula de dépit. Puis, docilement, il se laissa attraper par Daniel.

- Comment ? S’offusqua alors Bernard Fresson. Daniel Lin, vous n’allez pas punir ce chat ? 

 Description de cette image, également commentée ci-après

- Hem… A quoi bon ? Après tout, mon compagnon a cru que, désormais, ce fauteuil était bien à lui…

- A d’autres ! Le capitaine Craddock m’a affirmé que votre foutue bestiole était aussi intelligente qu’un enfant de six ans. Et j’aurais tendance à le croire. Pour moi, Ufo était parfaitement capable de faire semblant de me griffer. Mais il a fait sa diva. Il n’a pas suivi les instructions. Il a été mal dressé.

- J’aurais tendance à dire que c’est moi qui ai été dressé par lui, ironisa le Préservateur.

- Moui… humour facile… en attendant, dans l’affaire, j’ai subi des dommages. S’il y avait un syndicat dans cette Cité, je vous intenterais un procès, maugréa Bernard.

- Je vous demande humblement pardon pour le mal subi, fit Dan El.

- J’accepte vos excuses, monsieur, répliqua le comédien avec magnanimité.

Cependant, les deux sœurs poursuivaient leur affrontement verbal, au grand dam de Pierre et de Henri. Toutefois, lorsque les yeux de Daniel Lin croisèrent le regard de Deanna Shirley, aussitôt la jeune artiste cessa ses récriminations alors que Daisy Belle s’empressait de faire de même tout en rajustant son costume de scène.

- Un miracle vient d’avoir lieu, proféra Renate la scripte en levant les yeux au plafond. Commandant Wu, si vous ne savez pas dresser votre chat, au contraire, vous avez maté ces deux comédiennes. Votre présence a suffi ou presque à les calmer. Chapeau !

- Euh… je m’en vais, marmonna discrètement DS de B de B.

- Je vous suis, lui répondit en écho Dan El.

- Ainsi, nous pourrons reprendre cette répétition, déclara le réalisateur avec soulagement.

- Ah ? Et mes fesses ? Et mon costume ? Lança Bernard. C’est que mon postérieur m’élance bougrement… 


- Voici Denis qui va te soigner, grommela Pierre qui avait vu O’Rourke entrer sur le plateau.

- Où étiez-vous donc ? Gronda Bernard Fresson. A Miami ou à Acapulco en train de faire bronzette ?

- Vous ne croyez pas si bien dire, mon cher… en train de soigner une urgence… Gaston qui revenait d’Espagne. Maintenant, suivez-moi jusqu’à la petite infirmerie à côté… d’ici dix minutes, vous n’aurez même plus une cicatrice pour témoigner que vous avez été blessé en travaillant.

- Ah bah ! La médecine aurait donc fait autant de progrès à l’Agartha ?

- Vous n’avez pas idée, Bernard. Mais vous êtes libre de douter car il n’y a pas si longtemps que vous êtes parmi nous.

Alors, entraînant le comédien français avec lui, Denis se rendit à l’infirmerie de secours, laissant les autres acteurs reprendre leurs marques afin de mettre au point la scène qui devait être tournée dans la soirée.

 

*****

 

Donc, le lieutenant-colonel O’Gready avait vu son postérieur être griffé par Sonntag. Furieux, il s’était levé et menaçait le félin de son poing. Tandis que Franz récupérait son chat et le grondait, Otto Möll, réveillé par tout ce tapage, surgissait à son tour en pyjama et robe de chambre dans le salon.

- Que signifie tout ce ramdam ? Que s’est-il passé ?

- C’est la faute à ce stupide chat, rugit Bill. D’abord à qui est-il cet imbécile, ce crétin d’animal ? Oh ! Mais bien sûr ! A vous, monsieur le civil ! je m’en vais le jeter dehors d’un coup de pied.

- Hum… Vous n’avez pas intérêt à essayer, jeta doucement von Hauerstadt.

- J’aurais dû m’en douter, articula lentement l’avionneur. Bon sang de bon Dieu ! Tous deux, cessez de réagir comme des gosses ! Vous êtes adultes oui ou non ? Scheisse !

Lorsque le maître des lieux prononça cette insulte, la colère de Franz retomba aussitôt. Se retenant de ne pas rire, le jeune Allemand dit clairement ceci à son hôte :

- Pardonnez-moi, Otto, mais… cochon qui s’en dédit, n’est-ce pas ?

Comprenant à quoi faisait allusion son nouvel employé, von Möll rosit et conclut :

- D’accord. Vous m’avez sacrément mis en boîte, Franz.

Quelques minutes plus tard, la paix rétablie, tous finissaient de prendre le petit-déjeuner dans la cuisine. Quant à Elisabeth, elle était remontée dans la chambre afin de s’occuper de François.

 

*****

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