Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1945 (5).
2 Octobre 1993.
Muni des toutes dernières directives fournies par son alter ego plus âgé, toujours à Bonn, Johann van der Zelden entra en contact avec une bande d’espions soviétiques fin prêts pour saboter les points névralgiques des forces de l’OTAN en zone Nord-Europe. Une cinquième colonne encore plus performante que celle de la Seconde Guerre mondiale. Parmi les agents zélés, un certain Piotr Balankhinov œuvra à merveille. Lui, poursuivait un objectif particulier. Mettre au point et finaliser l’enlèvement de Michaël Xidrù.
L’Ennemi, quant à lui, sur les ordres de son homologue, téléphona secrètement à Balankhinov pour lui annoncer qu’il serait présent auprès du Secrétaire général du Parti communiste de l’URSS Diubinov, déguisé en un de ses secrétaires interchangeables. En fait, le Johann qui serait auprès du Président du Présidium de Soviet Suprême serait celui de 1995 et non celui de 1993, le plus jeune étant en réalité trop occupé à paralyser les stupides actions de Malcolm Drangston, pour se rendre dans la presqu’île de Kola. Oui, le Président des Etats-Unis, comme pris soudainement de remords, essaierait de contrecarrer la volonté de son général en chef Gregory Williamson au tout dernier moment, alors que les forces armées occidentales s’apprêtaient à répliquer à l’attaque frontale des Russes.
Le 3 octobre 1993, débutait l’instruction du procès des pseudo-écologistes, instruction un peu trop précipitée en vérité. La côte de confiance du chancelier Diekermann s’en ressentit immédiatement. Désormais, on ne comptabilisait que 20% de satisfaits parmi ses compatriotes.
Parallèlement, l’agitation en Allemagne fédérale affectait au plus haut point le Président Drangston. Il sentait son allié lui échapper peu à peu et cela l’inquiétait terriblement. Enfin, cet imbécile de Malcolm saisissait que Diubinov l’avait mené en bateau et que l’URSS s’apprêtait à attaquer le camp occidental en Europe du Nord. Dans cette histoire, le pigeon n’était autre que l’Etat d’Israël.
Enfermé dans son bureau, inaccessible pour la plupart des mortels, Gregory Williamson peaufinait son plan. Le général croyait bénéficier d’un soutien important en la personne de Johann van der Zelden qui lui avait assuré que tous les financiers américains désiraient la politique la plus ferme de la part des Etats-Unis. Ceci dit, ce n’était pas faux. Mais Johann avait deux fers au feu.
Williamson pensait que les USA devaient prendre le haut-commandement soviétique de vitesse et ainsi, déclencher les premiers la guerre, ceci afin de la gagner au plus vite. Frapper un grand coup, sidérer l’adversaire… et ensuite, ce dernier à genoux, ne pourrait que capituler.
L’utilisation de l’armement thermonucléaire était donc froidement envisagée.
Le général en chef des forces américaines mit donc en état d’alerte permanent toutes les forces conventionnelles ayant la bannière étoilée comme drapeau, sans oublier les forces atomiques et la flotte basée dans l’Océan Pacifique, à proximité du Japon. Ceci dit, dès les hostilités entamées, la 7ème flotte américaine débarquerait sur l’archipel nippon. Avec raison, Gregory n’accordait plus aucune confiance aux Japonais, ces derniers ayant signé un pacte d’assistance mutuelle avec la Chine et l’URSS.
Le 5 octobre, une émeute générale touchait tout à la fois le Danemark et la Suède. Il était évident que cet événement avait été coordonné par les forces progressistes européennes, autrement dit les cinquièmes colonnes communistes. Très vite, les gouvernements légitimes s’avérèrent dépassés ainsi que les états-majors militaires des deux nations.
Les soldats débordaient les officiers et fraternisaient avec les révolutionnaires. Virtuellement, le Danemark et la Suède venaient de basculer dans le camp soviétique. Beau coup en vérité de la part de Diubinov. Désormais, le nouveau haut commandement militaire des deux pays n’était composé que par des jeunes soldats d’une vingtaine d’années tout au plus, pacifistes jusqu’au bout des ongles, prônant l’amour pas la guerre, cheveux longs ou coiffés en crête vert fluo ou rose bonbon. Leurs oreilles s’ornaient de boucles ou d’anneaux, de piercings ridicules, de croix ou autres babioles. Les T-Shirts portaient quelques slogans révélateurs du style : I love Peace… No Future… No Bomb… Ces hordes plus ou moins dépenaillées fumaient du shit ou expérimentaient des substances encore plus dangereuses…
Devant l’invincible Armée Rouge, les deux pays allaient être laminés en deux jours, les troupes ne songeant pas même à avoir des velléités de résistance. Un armistice des plus précipités serait signé sans regret.
L’Espagne, quant à elle, base majeure de l’OTAN en Europe occidentale, était également atteinte par ces troubles soi-disant spontanés. Le gouvernement socialiste se retrouva débordé sur sa gauche. La population presque tout entière et les syndicats étaient hostiles au Premier Ministre à cause de la crise économique endémique qui sévissait dans le pays depuis près de vingt ans et des mesures d’austérité imposées par Bruxelles.
Toutefois, le Premier Ministre, Eduardo Collaῆo refusa de faire marcher l’armée sur le peuple et le souverain, Juan Carlos, dut renvoyer son ministre. Puis, il prit les rênes du pouvoir dans une sorte de coup d’Etat.
Mais, immédiatement, la résistance populaire s’organisa.
Une fois encore, un allié important claquait entre les doigts de Gregory Williamson. Il y avait de quoi flipper et renoncer. Mais ce n’était pas dans le caractère du général américain.
En Grèce, retirée de l’OTAN depuis 1990, les choses n’allaient pas mieux. En effet, le Président de la République se rendait en URSS et obtenait une entrevue avec Diubinov. Toutefois, le chef de l’Etat hellène n’accorda pas le droit de passage sur son territoire à l’Armée Rouge. C’était là une sacrée épine pour les forces soviétiques qui escomptaient ainsi envahir facilement la Turquie. De plus, le Grec déclara avec fierté que son pays resterait neutre dans le prochain conflit qui s’annonçait.
Parallèlement, la Belgique s’entêtait dans sa neutralité. Ce serait le seul pays d’Europe occidentale à ne pas connaître les affres d’une guerre nucléaire. Au contraire, la Suisse se verrait occupée, ses banques pillées, ses secrets bancaires éventés et ses réserves d’or amenées en URSS.
Tous ces événements résumés s’étaient déroulés en quelques jours à peine. Nous étions dorénavant le 12 octobre 1993, date du retour de Stephen Möll et Michaël Xidrù dans le présent de cette chronoligne 1720.
Or, le 13 octobre, Gregory Williamson avait définitivement sélectionné sa cible : la ville de Kaliningrad, l’ancienne Königsberg.
Le général en chef des forces américaines attendait avec la plus vive impatience les mouvements des armées soviétiques ou apparentées. Justement, les 52ème, 81ème, 23ème armées rouges, secondées par les 5ème et 9ème armées polonaises, les 3ème et 8ème armées tchèques, la 1ère armée hongroise, la 1ère armée roumaine sans oublier deux divisions bulgares et toutes les troupes de la RDA, envahissaient tout à la fois Berlin-Ouest et la RFA.
Les armées américaines basées sur le territoire Ouest-Allemand se retrouvèrent vite encerclées, et, après d’âpres combats de quelques heures seulement, durent se rendre sans gloire. Quant aux forces fédérales allemandes, elles aussi avaient déposé les armes mais sans un seul coup de feu tiré de leur part.
Les trois-quarts de la population croyaient fermement que leur pays allait enfin être réunifié et tous prenaient la chose avec philosophie. Après tout, mieux valait être rouge que mort, non ?
En fait, les Allemands de l’Ouest ignoraient que Diubinov ne désirait que l’écrasement total de l’Allemagne de l’Ouest.
Donc, à la suite de l’attaque et de l’invasion de la RFA, Williamson mit en route le programme d’alerte rouge de l’ordinateur central du Pentagone, et ce, sans l’accord de Drangston. Puis, il donna l’ordre à une escadrille de bombardiers volant à haute altitude, indécelables par les radars, d’aller jeter leurs charges atomiques sur Kaliningrad.
Pour plus de sécurité, les derniers missiles Pershing VIII encore opérationnels dans le secteur reçurent les mêmes instructions. Moins de dix minutes plus tard, l’antique cité était détruite, rasée à 99%.
Or, à l’instant exact où Kaliningrad était rayée de la carte, déclenchant ainsi officiellement la Troisième Guerre mondiale, dans une autre spirale de temps, le champignon atomique d’Hiroshima blessait le ciel terrestre.
La capitulation sans condition du Japon fut entérinée le 2 septembre 1945 à bord du Missouri, en présence de tous les Alliés, y compris les représentants de la France.
Mais en Europe, que s’était-il passé ?
Le 5 juin, l’accord entre les quatre alliés pour l’administration de l’Allemagne occupée et de Berlin avait été signé.
Puis, à Potsdam, le 17 juillet s’ouvrait la Conférence des Trois Grands, c’est-à-dire Staline, Truman, et Attlee. En effet, Churchill avait été battu aux élections législatives. Quant à la France, le procès du maréchal Pétain se déroula devant la Haute Cour de Justice du 23 juillet au 15 août. Condamné à mort, Philippe Pétain verrait sa peine commuée en détention perpétuelle.
*****
Novembre 1945.
Après presque trente années d’absence, Otto von Möll regagnait le château de son enfance au Wurtemberg. Le quadragénaire avait pris la décision de partager son temps entre l’Allemagne, son pays natal, et les Etats-Unis. Si Ravensburg et ses environs avaient été relativement épargnés par la guerre, il n’en allait pas ainsi pour la propriété et le parc de la famille von Möll. En effet, le château avait subi les affres de la réquisition nazie et ce, malgré la présence de Sébastien, l’ancien majordome français engagé par David van der Zelden à l’époque de ses derniers feux.
Le parc apparut dévasté aux yeux d’Otto. De nombreux arbres avaient été abattus pour l’effort de guerre. Les fontaines étaient envahies par la mousse et la mare n’était plus que sphaigne et lentilles d’eau. Quant aux canards et autres volatiles aquatiques, il y avait longtemps qu’ils avaient fini dans le ventre des soudards qui avaient occupé la propriété. La roseraie, si magnifique autrefois, qui avait fait la fierté de Gerta et de Magda, était à l’abandon et c’était tout juste si l’on reconnaissait des vestiges de rosiers sous la charmille. La pelouse ressemblait davantage à des broussailles sauvages qu’à du gazon savamment entretenu. Les massifs de fleurs ou de plantes n’existaient plus. Ils avaient été rasés ou arrachés. Dans ce sombre tableau, il ne fallait pas oublier la serre où étaient entreposées de magnifiques orchidées, du moins autrefois, des fuchsias aux teintes les plus rares, des hortensias, des fougères arborescentes, du ficus ou encore des lys d’une beauté à couper le souffle. Mais en ce triste jour de novembre, il n’en restait que des vestiges, des traces fantomatiques.
Le château lui-même aurait bien eu besoin d’un ravalement de façade. De nombreux Bow Windows avaient leurs vitres cassées et le parquet était défoncé à maints endroits au rez-de-chaussée, laissant apparaître des trous béants çà et là, de nombreuses lattes ayant été arrachées sans ménagement afin de servir de bois de chauffage à la troupe lors des hivers particulièrement rudes de cette guerre. Cependant, la plupart des meubles avaient été préservés grâce à des housses les recouvrant. Mais les tapisseries avaient souffert et on ressentait une vive douleur lorsqu’on les voyait tachées de moisissures. Toiles de Jouy et perses ne valaient guère mieux. Aux étages, s’offrait un spectacle identique. La balustrade ne dépareillait pas avec ses colonnes souillées, ses pilastres noircis, son sol aux dalles brisées.
La cave avait été pillée et on ne comptait plus les fûts percés et les éclats de bouteilles millésimées dont le précieux contenu s’était répandu sur le sol, abreuvant ainsi une terre qui n’en demandait pas tant.
En faisant un tour dans les communs, Otto vit que la cuisine, jadis si garnie, avait subi des ravages comme si des hordes d’affamés y avaient effectué des razzias quotidiennes. Les cuivres des casseroles étaient rongés par de la moisissure, du vert-de-gris impossible à rattraper même avec la meilleure volonté du monde. Les portes des placards brillaient par leur absence. Sur les étagères, plus aucun pot ou boîte de provisions, de farine, de sel, de café, de thé ou d’épices. C’était tout juste si des rats ou des souris ne dansaient pas la sarabande de la faim dans ces aires.
En empruntant les allées conduisant à la statuaire, Otto eut du mal à progresser sur le terrain autrefois sablonneux mais aujourd’hui tapissé par des années d’accumulation de crasses diverses et de feuilles mortes. Les déesses et les dieux de l’Antiquité présentaient des mutilations,
des salissures profondes et irrémédiables. Il manquait à Cybèle le nez et un bras. Zeus tonnant était défiguré tout comme son frère Poséidon. Un lichen brunâtre s’était insinué dans la pierre, la rendant lépreuse. Les bas-reliefs eux-mêmes se tavelaient d’arabesques d’une laideur monstrueuse. Des nez de marbre étaient enfouis sous le foin sauvage des mauvaises herbes. Aphrodite était à faire peur avec ses lacérations, ses lèvres rongées, ses caries dans le marbre vieilli et ses doigts brisés. On aurait pensé que non point onze années se fussent écoulées depuis l’abandon du château mais bien plusieurs siècles voire un millénaire.
Le cœur empli d’un sentiment de désolation, Otto s’en revint d’un pas lent jusque dans sa chambre. En son for intérieur, le quadragénaire pensait que ses ancêtres, des parvenus, n’avaient point utilisé les meilleurs matériaux lors de l’édification et la décoration de la demeure. Dans la pièce, Il flottait de vagues relents douteux de moisissure, de fruits blets et d’autres choses. Prenant sur lui, il interrogea Sébastien mais n’en tira rien.
Les jours suivants, le Germano-Américain dut en convenir. L’ex-majordome était un sale petit espion. Ayant pris de vilaines habitudes, il se conduisait en maître dans ce château en quasi ruines, rechignait lorsqu’on lui commandait de servir le café, fouillait dans les affaires de Herr von Möll, écoutait aux portes les conversations téléphoniques, ouvrait le courrier en provenance des Etats-Unis et le recollait tant bien que mal avant de l’apporter sur un plateau en argent terni au nouveau propriétaire.
Otto von Möll se résolut enfin à renvoyer ce mauvais domestique. Il le congédia un matin sans rédiger un certificat de bons et loyaux services. Ainsi, Sébastien était-il condamné à ne pas retrouver de place… mais rapidement, il fut pris en charge par un des seconds couteaux de Xaxercos afin de servir de mystérieux desseins.
L’homme synthétique, quant à lui, occupait, pour mémoire, le poste envié de secrétaire du banquier Athanocrassos.
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Fin juin 1626. La bibliothèque du cardinal de Richelieu.
Le principal Ministre de Sa Majesté le Roi Louis XIII recevait son éminence grise en toute simplicité, le fameux Père Joseph du Tremblay.
Tandis que le cardinal caressait machinalement un chat chartreux
lové sur ses genoux, son espion attitré lui apprenait que Monsieur, frère du Roi, autrement dit le bouillant et agité Gaston, duc d’Orléans, s’était encore une fois lancé dans une conspiration contre le souverain légitime du royaume de France.
- Qui fait partie du complot, demanda sèchement un instant, Armand.
- Votre Eminence, répondit placidement le Père Joseph, un jeune homme fort naïf, Chalais.
- Hem… laissons agir toutes ces marionnettes, répondit le cardinal. Je veux avoir en mains tous les fils de l’intrigue. Puis, quand il sera temps, nous arrêterons tous ces conspirateurs et la justice du Roy passera.
Alors, saluant profondément le Principal Ministre, le Père Joseph se retira.
Une fois arrivé dans l’antichambre, le religieux esquissa un bien étrange sourire tandis que ses yeux gris lançaient des éclairs. Du Tremblay marmonnait dans sa barbe :
- S 1 va croire que tout roule. Le cardinal est désormais prévenu. La conspiration va échouer et le cube identificateur de la civilisation baroque de la première moitié du XVIIème siècle apparaîtra sauvé. Ainsi, il cessera momentanément d’émettre des signaux d’alerte bien gênants pour moi. Je ne reprendrai une apparence plus anodine que lorsque cette sombre histoire avec Milady de Glenn sera réglée. Mais avant tout, il me faut maintenant remonter la piste de l’agent temporel 132 540, alias frère Uriel. Ce dernier a été assez malin pour échapper à ma traque jusqu’à aujourd’hui.
Le clone du Commandeur Suprême pouvait se permettre de se réjouir vu qu’il avait éliminé la semaine précédente un autre Michaël, le numéro M 19628 X 70230. D’un pas ferme, l’avatar s’engagea dans la rue sans marquer son dégoût devant les pavés malodorants de la chaussée du Paris du règne de Louis XIII.
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