Un goût d'éternité 5e partie : Elisabeth : 1944 juillet-décembre (4).

 

25 Septembre 1993.

Le chef d’état-major français, reçu en grand secret par le Président de la République, fit part de ses grandes préoccupations au chef de l’Etat. Pour le général Garreau, il ne faisait désormais plus aucun doute que l’Union Soviétique, poussée par une attaque malencontreuse des Américains, ne tarderait pas à envahir l’Europe occidentale, à commencer par l’Allemagne de l’Ouest, puis la Belgique et la Hollande. Or, les Français ne disposaient pas de moyens conséquents pour pallier une invasion de telle envergure… à moins de recourir à l’arme atomique, ou, plus précisément de la bombe à neutrons, qui avait le mérite de détruire les combattants mais pas les agglomérations, les armées françaises auraient le dessous.

L’alternative était donc la suivante :

Résister de manière totale, désespérée, sans la moindre chance d’échapper à l’ennemi, d’être sa prochaine cible ;

Employer des armes conventionnelles en sachant pertinemment que le pays serait alors envahi beaucoup plus rapidement, tout en n’ayant pas fait grand mal à l’adversaire.

Seul dans son bureau, après mûres réflexions, Serge Bouteire opta pour la deuxième solution. Ainsi, il espérait que l’ennemi épargnerait les grandes cités françaises. Les pertes en population civile seraient moins importantes, moins dramatiques. Le chef de l’Etat avait choisi la solution la plus sage.

Mais Nicolaï Diubinov n’était pas un homme sage.

Quant à Gregory Williamson, le véritable détonateur de cette guerre nucléaire, encore moins.

Le Président français n’appliquerait l’article 16 de la Constitution de la Vème République que lorsqu’il apprendrait par un communiqué officiel de la Maison Blanche l’attaque par les missiles US de la ville de Kaliningrad. 

 

Ainsi allait la folie des hommes dans cette piste temporelle 1720.

 

*****

 

1944. Eté de la Libération.

Les 30 et 31 Juillet, grande percée des armées alliées près d’Avranches. Il était temps. La dernière contre-attaque allemande importante sur le territoire français par l’armée de von Kluge

 Günther von Kluge

 – ce dernier ayant remplacé von Rundstedt – eut lieu entre les 7 et 15 août. Elle se solda par un échec total. Pendant ce temps, la Troisième Armée alliée du général Patton avait libéré Nantes, Laval, Angers et Tours. Puis, elle remonta vers Chartres et Melun.

Le 15 Août, plus au sud, le deuxième Débarquement allié sur les côtes françaises se déroula en Provence. Dès le 19 août, Paris se soulevait contre l’Occupant.

Marc Fontane, qui avait rallié la Deuxième D.B., participa à la Libération de la capitale française. Persuadé plus que jamais d’avoir opéré le bon choix, le jeune médecin exaltait. Le 25 août, renonçant à défendre Paris et à détruire la ville, von Choltitz

 Dietrich von Choltitz

 signait la capitulation des armées allemandes à la gare Montparnasse où le général Leclerc avait établi son quartier général.

Cependant, avec la Libération débutait également l’épuration. Pendant que les V1 et les V2 pleuvaient sur Londres, Anvers et Bruxelles, le général de Gaulle formait un gouvernement d’Union nationale. 

 V2 (missile)

Quelques semaines plus tard, l’offensive alliée du général Eisenhower, qui se déroula du 13 novembre au 15 décembre, s’effectua de la Mer du Nord à la Suisse. Parallèlement, la Deuxième D. B. de Leclerc

 Philippe Leclerc de Hauteclocque

 entrait à Strasbourg le 23 novembre au milieu de l’enthousiasme général. Le serment de Koufra avait été tenu. Mulhouse fut libérée par la Première Armée française tandis que les Allemands se maintenaient dans la poche de Colmar.

Les Nazis avaient encore des dents et des griffes comme allait le démontrer la violente offensive des Ardennes ordonnée par Hitler au maréchal von Rundstedt dès le 16 décembre de cette mémorable année 1944. L’objectif en était de reprendre Anvers et de rejeter les Alliés à la mer.

 

*****

 

Décembre 1944. Strasbourg.

Mais que devenait Marc Fontane, installé momentanément dans la capitale alsacienne nouvellement libérée ?

Après des combats éprouvants, bien plus que les coups de mains et la guérilla auxquels il s’était habitué, le jeune homme savourait quelques moments de détente justement mérités. Avec une bande copains, il s’était rendu dans un bar et goûtait à la bière locale. Toujours aussi cavaleur, Marc remarqua bien vite une jolie serveuse qui officiait en tenue alsacienne,

 

 une jeune blonde bien en chair, répondant au prénom d’Helen. Tout naturellement, la barmaid et le médecin sympathisèrent et se retrouvèrent souvent durant quelques jours. Or, Helen présenta le Normand à ses parents. Devant eux, elle leur annonça que Marc et elle avaient décidé de se fiancer. Fontane ne put se dédire. Après tout, pourquoi pas ? Plus que tout au monde, l’ancien praticien de Sainte-Marie-Les-Monts désirait tourner la page.

Alors, Marc Fontane écrivit à son père Gaspard pour lui apprendre qu’il allait épouser Helen, que ce n’était pas une passade entre lui et elle, que c’était du sérieux, qu’il avait enfin trouvé la femme de sa vie…

A la réception de cette lettre, le ciel sembla tomber sur la tête du maire de Sainte-Marie-Les-Monts ainsi que sur celle de son épouse, Nadine. La mère eut un hoquet de désapprobation puis elle se réfugia dans sa chambre afin d’y pleurer à l’abri du regard de son mari. La fermière connaissait la situation plus que délicate de mademoiselle Granier. Elle savait que la jeune femme attendait un enfant dont Marc, son fils unique, était le père. Elle avait espéré que ce dernier reviendrait pour réparer sa faute, bien qu’Elisabeth eût manifesté son désir de s’unir à Franz von Hauerstadt. De fait, tout le village était au courant pour l’Allemand et l’orpheline. Ils vivaient comme mari et femme et ne dissimulaient rien au reste de la population de Sainte-Marie-Les-Monts. C’était un peu comme une sorte de défi, de pied-de-nez à l’opinion publique. Puisque Marc Fontane s’était défilé, puisque jamais il ne reconnaitrait sa paternité, eh bien, le jeune ex-lieutenant-colonel de la Wehrmacht était prêt à tout assumer… père putatif de l’enfant à naître, amant en titre de la fille Granier. Tant pis pour le scandale !

Toutefois, Gaspard Fontane répondit à la missive de son fils, l’engageant à revenir sur sa décision. Pour lui, le déshonneur ne provenait pas d’Elisabeth Granier mais bien de Marc. La lettre fut dictée au maire par l’instituteur du village, Gaspard étant loin de s’exprimer d’une manière aussi châtiée dans la vie de tous les jours.

… Marc, il y a longtemps que tu es majeur. Je ne puis donc te donner que des conseils, des avis… ne mets pas Elisabeth dans une situation désespérée. Elle est si désemparée qu’elle est prête à épouser Franz au risque du scandale dont tu peux déjà imaginer l’ampleur. Je vois déjà les objections que tu vas me faire. J’ai cru aux propos d’Elisabeth. Cette petite ne sait pas mentir. Tous les torts ne sont peut-être pas de ton côté… mais tu dois prendre tes responsabilités. Elisabeth ne t’a pas trahi… pas du moins comme tu l’entendais. Jusqu’à cet automne, elle n’avait jamais couché avec Franz. Jamais… il n’y avait qu’un amour platonique entre les deux jeunes gens. C’est ton départ, non, ta fuite, qui a accéléré les choses, changé la donne.

Tu te doutes combien la situation présente de mademoiselle Granier est difficile. Les gens du village, mes administrés ont voulu lui faire un mauvais parti. Il a fallu que je m’interpose, que je ramène l’ordre. C’est ainsi. Mes concitoyens ne font preuve de courage que contre des femmes qui ne peuvent se défendre. Maintenant, ils m’accusent d’être moi aussi un sale collabo. Risible, dramatique, non ?

Quant à Franz, il prend les événements sereinement. On dirait qu’il s’en moque. Il travaille à la ferme comme ouvrier agricole. Ma foi, il ne se débrouille pas trop mal… il m’aide beaucoup. Mais on sent bien que c’est surtout un intellectuel. Le soir, il lit des livres tout à fait incompréhensibles, des ouvrages scientifiques donnés par le général Armstrong. Je lui ai fourni un laisser-passer qui l’autorise à se déplacer dans la région afin qu’il puisse fréquenter les bibliothèques encore debout. Comme il est en civil, personne ne peut s’imaginer qu’il est allemand. Il lui arrive de parler avec le médecin militaire, le major britannique Manning. Ces deux-là s’entendent à merveille. Ils baragouinent dans la langue de Marlowe

 Image dans Infobox.

 comme s’ils se connaissaient depuis la fac.

Manning est devenu le médecin des deux jeunes gens. Elisabeth en est à son septième mois de grossesse et a besoin d’être suivie régulièrement. Le lieutenant-colonel se porte comme un charme. Son cœur va bien, il n’a plus aucun malaise et se passe désormais de pilules et de piqures.

Mais j’en reviens au sujet qui nous préoccupe Nadine et moi.

C’est une lubie bien soudaine qui t’a pris. Par idée de vengeance ? Alors, cela signifierait que tu as réellement aimé Elisabeth. En souvenir de tout ce que vous avez partagé, romps avec Helen. C’est le mieux que tu puisses faire. C’est tout ce que j’avais à te dire.

Tu es mon fils chéri, mon fils unique ; je t’ai toujours montré la voie à suivre. Je t’en prie, ne me déçois pas.

Ton père qui t’aime, Gaspard.

Mais il était trop tard. Marc recevrait la lettre de son paternel trois jours après avoir convolé avec Helen. Le mariage s’était déroulé dans la plus stricte intimité. Union bien précipitée à vrai dire. Seulement quinze jours s’étaient écoulés entre la première rencontre entre les deux jeunes gens et les noces.

Au fond de lui-même, l’ancien médecin restait persuadé qu’Elisabeth l’avait bel et bien trompé avec ce fumier d’Allemand. Les nombreuses missives rédigées par sa mère Nadine ne le firent pas changer d’avis. La fille Granier, cette garce, cette sainte Nitouche, avait couru deux lièvres à la fois. En fait, il n’était pas étonnant que Marc réagît ainsi. Elisabeth avait été sa maîtresse. Elle n’avait pas hésité à se donner à lui… à tout juste dix-huit ans…

Le jeune Fontane n’était pas habitué à fréquenter des jeunes filles sérieuses. Il ne comptabilisait plus ses conquêtes, d’un soir, d’une semaine ou de quelques mois. Seule son aventure avec Carole Lavigne avait duré plus qu’à l’accoutumé. Mais il ne voulait plus se rappeler combien il avait été roulé par cette espionne. Il avait été le dindon de la farce dans cette histoire et il se sentait humilié.

Alors, Marc avait décidé de s’attacher à Helen, son épouse, une bonne fille, d’aspect un peu populaire peut-être, qui riait fort et parlait un français chantant et maladroit, amusante avec ses cheveux décolorés, ses robes moulantes et aux décolletés profonds, ses amitiés sincères, ses élans de générosité.

Cependant, il était dans la nature de Marc Fontane de se montrer infidèle. Son corps réclamait du changement avec une régularité métronomique. Il vivrait de multiples aventures mais reviendrait toujours au foyer.

Toutefois, Helen prendrait de plus en plus mal les frasques de son époux volage, lui battant froid, mais cela n’irait pas jusqu’au divorce. En effet, chez les Hammer, on ne divorçait pas !

 

*****

 

Entre décembre 1944 et février 1945, l’archéologue Stephen Mac Garnett, l’ami d’Otto Möll, effectua un voyage sur Rapa Nui,


 plus connue en Occident sous le nom d’Île de Pâques. Le chercheur en sciences humaines y effectua plusieurs relevés topographiques et géologiques avec l’aval du gouvernement chilien. Parallèlement, il interrogea avec le plus grand intérêt les indigènes sur leurs coutumes ancestrales, avec le souci de mener à bien son enquête anthropologique.

Mais il sut rapidement que les traditions orales s’étaient estompées. Quelque peu déçu, l’archéologue décida pourtant de revenir sur l’île à la tête d’une expédition scientifique disposant de moyens techniques plus élaborés afin de percer le mystère pluriséculaire de Rapa Nui. Selon ses calculs, ladite expédition devait avoir lieu d’ici trois ans tout au plus, un délai long peut-être mais néanmoins nécessaire qui lui permettrait de réunir les fonds, le matériel et les amis ou collègues qui le seconderaient.

Le véritable objectif de l’expédition consistait à retrouver les vestiges du Continent mythique Mû.

Or, Mac Garnett n’avait que fort peu de chance de voir ses rêves aboutir. Personne, en effet, ne le prenait au sérieux, y compris les savants à l’esprit ouvert. Pourtant, un des anciens de Rapa Nui n’avait-il pas conté à l’archéologue l’incroyable légende remontant à la Nuit des Temps concernant la présence d’un bien étrange cube aux arêtes parfaites qui, sous l’action de forces malfaisantes, avait fini par exploser, déclenchant par la même occasion la révolte des Courtes Oreilles contre les Longues Oreilles ?

 

*****

 

Pendant l’automne et l’hiver 1944-1945, le journaliste Giacomo Perretti parcourait toute l’Italie, enquêtant sur la misère des populations de la péninsule, misère qui découlait du régime fasciste mais aussi de la guerre. Ce qu’il vit, les scènes auxquelles il assista, le démoralisa. Des enfants de douze ans contraints à la prostitution afin de pouvoir manger, des mères hâves, mendiant le moindre morceau de pain, harcelant les Américains pour un paquet de cigarettes aussitôt revendu au marché noir, la disette la plus affreuse, le dénuement le plus complet, les valeurs morales inexistantes. Ici, tout se vendait, tout s’achetait.

Pour ne pas sombrer dans le stress, Giacomo se rendit dans plusieurs librairies et finit par dénicher de vieux ouvrages de la fin du XIXe siècle, des livres ésotériques de philosophie orientale. L’un d’entre eux posait le problème de la nature du Temps, de son concept à travers les âges et les différentes civilisations, de son ressenti selon différentes réalités.

 

*****

 

Avant-veille de Noël 1944. Sainte-Marie-Les-Monts.

Il n’était pas encore six heures du matin chez mademoiselle Granier. Pourtant, Elisabeth était déjà levée et préparait un rapide petit-déjeuner. Dans la cuisine, cela sentait non pas le café, mais l’ersatz habituel de pois chiches grillés et de feuilles de saule.

- Que vas-tu faire à la ferme ce matin ? s’enquérait la maîtresse de maison. Le maire va-t-il te donner encore un travail épuisant comme avant-hier ? Je trouve qu’il exagère un peu trop souvent.

- Apparemment, couper du bois, donner à manger aux cinq vaches de monsieur Fontane et ensuite, je n’en sais rien… mais… tu devrais t’asseoir…

- Tout à l’heure, Franz… lorsque je finirai ces chaussons et cette brassière.

- Tu sais, je sais me servir, je ne suis pas manchot. Le docteur Manning va dire que je ne fais pas assez attention à toi… or, c’est faux.

-Oui… mais, la dernière fois, tu as brûlé le fond de ma casserole et tu as renversé le lait sur le feu. Cela a été la croix et la bannière pour rattraper le tout.

- Tout de même… je n’étais pas le seul fautif dans cette histoire… si je me souviens bien, nous étions tous deux fort occupés…

- C’est ça. Maintenant, tu veux me faire porter le chapeau…

- Non… partager la responsabilité.

- Bon… comme toujours, tu as raison.

- Pour le réveillon, devons-nous nous rendre à l’église, Elisabeth ?

- Evidemment. Je me réjouis déjà de voir la tête de ces commères… de ces grenouilles de bénitier.  

- Noël, c’est la fête de la fraternité, de la paix et du pardon… Mais, là, nous allons être toisés et regardés comme si nous étions des énergumènes.

- Tu ne veux pas y aller ? Tu as pourtant été élevé dans la religion catholique, Franz.

- Tout comme toi. Tu comptes communier ?

- Le nouveau curé a refusé de me donner l’absolution.

- Parce que nous vivons dans le péché. Franchement, c’est à mourir de rire…

- Et toi, il t’a absous ?

- Penses-tu. C’est tout juste s’il ne m’a pas jeté du confessionnal. Si tu avais vu sa tête… je me demande encore comment j’ai réussi à garder mon sérieux.  

- Parce que tu sais te contrôler. Donc nous braverons l’ire de ces bons chrétiens et nous leur ferons un pied-de-nez. 

-  Quel défi ! Lisbeth, je t’adore ! Tu as un culot monstre… ceci dit, tes concitoyens n’ont pas du tout l’esprit charitable. Pourtant, ils te doivent beaucoup mais n’en ont pas conscience.

- Bon Comme je suis meilleure qu’eux, je leur pardonne volontiers… finis ton café et ne te mets pas en retard… le dessert, c’est pour ce soir.

- Attends un peu… me soupçonnerais-tu d’avoir faim non pas de nourriture mais de toi ?

- Pff ! Cela se voit comme le nez au milieu de la figure, mon chéri.

Juste à cette seconde, malgré l’heure indue, on sonna à la porte principale.

Puis, un second coup de sonnette se fit plus pressant.

- Bon sang ! Qui cela peut-il être ?

- Je vais voir, Elisabeth…

             Franz se leva et se rendant dans le hall d’entrée, défit le verrou et ouvrit la porte. Devant lui, il y avait deux silhouettes qu’il n’identifia pas. Des civils. L’un était un homme âgé, l’autre un jeune homme. Sous la lumière blafarde du couloir, ce dernier rappelait vaguement quelqu’un à l’Allemand.

- Messieurs ? Que puis-je pour vous ? Commença Franz avec sa politesse surannée coutumière.

             - Hum… Naturellement, vous ne me remettez-pas, fit le plus jeune. Je suis bien chez mademoiselle Granier ?

             - Oui, effectivement. Elisabeth est dans la cuisine. Vous voulez la voir malgré cette heure matinale. Vous avez sans doute à lui apprendre quelque chose d’important…

- Fichtrement important. Je suis François Granier.

- Son frère ? Balbutia Franz.

- C’est cela. Et vous ?

- Euh… son hôte et ami…

- D’accord.

- Laisse, mon petit, jeta le plus âgé avec désinvolture. Je m’en mêle avant que la situation ne  devienne intenable.

- Monsieur ?

- Raoul. Raoul d’Arminville. Nous avons fait une sacrée route avant d’arriver à bon port… 

 

 

- Raoul d’Arminville ? Bégaya de plus belle Franz.

- Vous connaissez mon nom, manifestement, jeune homme… ceci dit, je savais que nous allions vous trouver ici… Vous êtes Franz, n’est-ce pas ? Franz von Hauerstadt… le fils d’Amélie ?

- Le… monde entier sait qui je suis, ironisa l’ex-officier.

De l’autre côté, Elisabeth demandait.

- Franz, qui sont ces messieurs ?

- Ah… Dieu du ciel… monsieur Granier… votre sœur… je ne sais pas si elle est en état de vous voir… il y a si longtemps qu’elle n’a plus eu de vos nouvelles. Nous vous croyions mort…

- Pourtant, me voici bien vivant… grâce à monsieur Raoul, mon sauveur…

- Franz, si vous nous faisiez entrer, que l’on puisse s’expliquer ? On se gèle ici, sur le seuil…

- Pardon… mais… Elisabeth n’a pas besoin de recevoir pareil choc…

-Pourquoi ?

- Ah… c’est si gênant…

- Tant que cela ? Vous savez, jeune homme, nous sommes d’abord passés par la ferme des Fontane… Nous savons donc tout ou à peu près…

- Monsieur d’Arminville…

- Oui, bon… nous entrons…

Alors, François et monsieur Raoul pénétrèrent dans le hall de la maisonnette.

Elisabeth, sortant de la cuisine, posa d’abord son regard sur le plus jeune des deux visiteurs. Alors, elle pâlit affreusement, poussa un cri et faillit tomber à la renverse. Mais Franz, qui se tenait sur ses gardes, parvint à la rattraper juste à temps.

- Je vous avais pourtant dit qu’Elisabeth était fragile, murmura-t-il sévèrement.

- Ma sœur est enceinte… il n’y a pas là de quoi en faire un fromage, monsieur von Hauerstadt ! Lança François.

- Pardonnez-moi mais il faut que je l’allonge sur ce divan.

- Faites, mon petit… vous permettez que je vous appelle mon petit, Franz ?

- Je ne puis m’y opposer…

- Hum… Amélie vous a donc raconté…

- Oui, fit le jeune Allemand en rosissant…

- Nous allons tous nous installer dans le séjour… ensuite, devant une tasse de café, nous allons nous présenter et vous dire ce que nous faisons ici, tous les deux, François et moi-même. Entendu ?

- Entendu, monsieur d’Arminville.

Toujours Elisabeth dans ses bras, Franz la déposa sur le divan et s’enquérant d’une bouteille de vinaigre, il lui en fit respirer les effluves… la jeune femme rouvrit les yeux et dit d’une voix sans timbre.

- François… je n’ai pas rêvé.

- Non, sœurette… tu n’as pas rêvé. Je suis bel et bien de retour.

- Mon Dieu… merci…

- Mademoiselle, c’est plutôt moi qu’il faudrait remercier, jeta Raoul avec sa mine espiègle.

- Maintenant qu’Elisabeth a repris conscience, je vais aller nous servir une tasse de pseudo-café. Ensuite, en avant pour les explications, proféra François d’un air amusé.

Cela prit deux longues heures. Alors que la discussion battait son plein, Franz s’inquiéta. Il allait être en retard chez Gaspard Fontane. Mais Raoul s’empressa de le rassurer, lui disant qu’il avait déjà tout réglé avec le maire, ce dernier ayant accordé la journée au jeune prisonnier. Lorsque tout fut déballé, le jeune duc se sentait quelque peu gêné. Alors, celui qui avait pris jadis comme nom de guerre Arsène Lupin, s’isola avec lui et lui fit :

- Franz, vous n’avez aucune honte à avoir avec moi. Les circonstances de votre conception sont ce qu’elles sont, oui, mais vous n’en êtes pas responsable. Quant à moi, je n’ai appris votre filiation que quelques années plus tard… après avoir effectué certains rapprochements audacieux. Ceci dit, ensuite, j’ai toujours gardé un œil sur vous… un œil bienveillant bien, que, parfois, je me demandais de qui vous tiriez…

- Vous évoquez mes erreurs de jeunesse…

- C’est cela, mon garçon. Je ne suis pas venu vous proposer une quelconque aide financière… alors que je connais parfaitement votre situation actuelle. De toute manière, vous la refuseriez… car, vous êtes fier…

- Un défaut en l’état actuel des choses, monsieur d’Arminville. 

 

- Vous en ferez une qualité, Franz, j’en reste persuadé. Avant tout, je me devais de ramener François chez lui… Il y avait bien trop longtemps que mademoiselle Granier se faisait du mouron pour lui… par la même occasion, j’en ai profité pour vous rencontrer en chair et en os.

- Vous ai-je déçu, monsieur ?

- Pas depuis votre adolescence…

- Merci…

- Vous formez un beau couple, Elisabeth et vous…

- Encore merci…

- Je souhaite de tout cœur que vous puissiez concrétiser cet amour par un mariage, une union solide. Mademoiselle Granier vous mérite et vous aussi, vous la méritez.

- Monsieur d’Arminville, je ne sais plus quoi dire devant un tel compliment…

- Dans ce cas, ne dites rien, ne me remerciez plus et soyez ce fils qui me remplira toujours de fierté.

Franz ne put que s’incliner. Raoul lui prit ensuite la main et la lui serra chaleureusement. L’ancien officier de la Wehrmacht ne refusa pas ce geste d’approbation de sa conduite des derniers mois certes, mais également d’affection virile.

 

*****

 

FIN DU TOME II

 

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