Un goût d'éternité 5e partie : Elisabeth : 1944 juin (5).

Le coup de main des résistants du groupe Fontane allait réussir au-delà de toutes les espérances. Mais toute médaille avait son revers. 

 

Dix heures quinze avaient retenti au beffroi du village de Sainte-Marie-Les-Monts alors que le maire, caché dans les bâtiments de l’école jouxtant la mairie, tirait les premiers coups de feu contre le convoi allemand passant à vingt kilomètres à l’heure dans la rue principale. Le signal de l’attaque venait ainsi d’être donné par l’édile en personne. Alors, les balles crépitèrent d’un peu partout des différentes artères, de la mairie elle-même, du bar chez Fridin, de l’épicerie, de la pissotière, et ainsi de suite. 

Un membre de la Résistance avec un soldat américain. Staged photo.

Le village normand, habituellement si paisible, s’était métamorphosé en véritable champ de bataille. Les minutes passaient et, avec elles, leurs lots de cadavres. Tandis que la SS s’en venait prêter main forte au convoi, sous le commandement du Standartenführer Zimmermann, il s’avéra que les Allemands commençaient à perdre à la fois leur sang-froid et leur superbe. Quant à Gustav, il n’était pas du tout à la hauteur de son poste.

- Donnerwetter ! Ces salopards ont osé. Mais ils vont le payer cher, fulminait le colonel SS. Ludwig, tu vas suivre mes ordres à la lettre.

- Jawohl, Vater.

Après avoir écouté attentivement son supérieur, l’adjudant SS se mit à contourner avec trente hommes la place du village avec la plus grande prudence. Tout cela sous le tir nourri des résistants. Les Allemands tentaient de parvenir jusqu’à l’église où de nombreux partisans avaient trouvé refuge.

Cependant, de sa cachette, Gaspard voyait tout et s’inquiétait à juste titre. Il se demandait si ses amis avaient vu la manœuvre des SS.

- D’autres renforts vont arriver bientôt. Et l’église se retrouve désormais encerclée.

- Oui, c’est évident, lui répondit Cornelius.

- Il nous faut empêcher cela en faisant sauter la route.

- Well. J’ai compris. Je partage votre analyse, mister Fontane.

Le Britannique enchaîna.

- Il me vient une idée… assez risquée… Cornelius et moi-même allons essayer de nous faufiler jusqu’au camion qui flambe, là, puis, de zigzag en zigzag, nous parviendrons jusqu’à la sortie ouest du village et nous balancerons quelques grenades sur la chaussée…

- Des grenades ? Fit Gaspard. Ce ne sera pas suffisant pour occasionner des dégâts. Il vaudrait mieux un mortier. Or, Marc en a un, ce me semble…

- Votre fils est derrière la cour, non ?

- Oui, en effet.

- Dans ce cas, let’s go ! Commanda l’Américain à son compagnon.

Les deux soldats, après avoir récupéré ledit mortier, réussirent, tant bien que mal, à sortir des bâtiments scolaires et en zigzagant ou en rampant, atteignirent le premier camion qui achevait de brûler dans des flammes oranges et noires à la fois. C’était miracle qu’il n’eût pas explosé.

Toutefois, la partie la plus audacieuse du plan restait à faire, c’est-à-dire courir sur plus de deux cents mètres en terrain découvert. Cependant, des soldats de la Wehrmacht et quelques SS s’étaient tapis en embuscade dans les talus bordant la route. Un calme trompeur régnait dans cette partie de Sainte-Marie-Les-Monts. Cornelius et George, tous leurs sens en éveil, n’étaient pas dupes. Mais le devoir les commandait.

Soudain, une rafale de mitraillette les atteignit tous les deux alors qu’ils n’étaient pas loin du point à atteindre.

- Aow ! It is stupid ! Je n’aurai pas eu le temps de boire mon thé aujourd’hui.

George bégaya autre chose mais le souffle lui manqua et il mourut, son corps baignant dans une flaque de sang. Cornelius, bien que blessé assez grièvement, eut la force de ramper près du cadavre de son ami alors, qu’au-dessus de sa tête, on entendait les Zii agaçants des tirs nourris de l’ennemi.

- George… my God… inutile… il est bien mort. Ces Boches vont déguster, foi de Cornelius !

L’Américain eut la force de dégoupiller un « ananas » et de le jeter le plus loin possible en direction de la fusillade ; la grenade explosa en cinq secondes et le tir cessa brusquement, preuve que le militaire n’avait pas raté son coup.

Cornelius reprit donc sa reptation et, enfin, estimant être arrivé à l’endroit sélectionné, usant de son dernier souffle de vie, arma le mortier et fit feu. L’obus jaillit avec une extrême violence de son cylindre, ce qui eut pour effet de projeter le G.I. quelques mètres plus loin en arrière. Le courageux Américain atterrit plutôt brutalement sur la route empierrée ; mais le projectile avait fait son office car un cratère défigurait désormais la chaussée. Il était profond et rendait le chemin quasiment infranchissable. Seuls des véhicules légers comme des motos pourraient franchir cet obstacle dorénavant. Les renforts nazis seraient retardés.

Cet exploit accompli au prix du sacrifice de sa vie, Cornelius ferma les yeux et sombra dans les bras hideux de la Grande Faucheuse. Sa dernière pensée fut :

- Ce n’était pas mon jour de chance…

Pendant ce temps, à moins d’un kilomètre, Ludwig Hans et ses SS progressaient méthodiquement jusqu’à l’église. Bientôt, le groupe se retrouva devant la porte close du presbytère.

- J’entre le premier, grade oblige ! Lança crânement l’adjudant.

- Jawohl Herr Sturmscharführer.

Entrebâillant la porte du bâtiment, le SS pénétra doucement à l’intérieur du presbytère. Tout en jetant des regards empreints de peur autour d’eux, ses hommes lui emboîtèrent le pas, progressant dans une pénombre inquiétante.

Soudain, un frémissement à peine perceptible.

- Achtung ! Feuer ! S’écria alors Ludwig Hans dont les intonations ne trompaient pas. Lui aussi avait le sentiment d’être tombé dans un piège.

Toutefois, les SS tiraient dans le vide et tout à fait au hasard et seul l’écho de leurs propres balles leur répondait.

- Unmöglich ! Les terroristes étaient là il y a quelques minutes à peine. Que s’est-il passé ? S’inquiétait Ludwig Hans à juste titre.

Alors, le jeune SS eut un geste pour se retourner. Mais c’était trop tard. Une ombre avait jailli de l’obscurité et une silhouette noire lui enfonçait un couteau dans le dos.

- Ach… Teufel ! Das war …

Le reste s’acheva en un gargouillis sinistre.

Lardé de coups de poignards par Stéphane Andreotti, le corps prostré de Ludwig Hans s’affaissa avant de chuter sur l’allée couverte. 


- Fumier ! Je t’ai réglé ton compte ! Hurla le Corse. Vous autres, qu’attendez-vous pour tirer, bon sang de bonsoir !

Aussitôt, les compagnons de Stéphane obéirent. Le presbytère devint alors l’antichambre de l’enfer et il en allait de même dans tout le village. Ça canardait d’un peu partout, de derrière des fenêtres aux rideaux tirés, des rez-de-jardin, des caves, de derrière la fontaine, des camions renversés, des voitures incendiées…

Ce combat acharné coûta la vie à une quarantaine de soldats plus ou moins réguliers, dans le bon camp et dans le mauvais.

Toutefois, il ne fit plus aucun doute que la victoire était du côté des résistants au bout d’une demie heure. Zimmermann l’avait compris. Il n’était pas question pour lui de se rendre, d’être fait prisonnier par ces traîne-savate.

Alors, abandonnant là ses hommes, sans éprouver le moindre remord, le Standartenführer tenta de prendre la fuite, protégé par les miliciens de Jean-Luc Mirmont. Peine perdue. Les Français collabos furent eux aussi contraints à déposer les armes. Entouré par quatre hommes, le SS fut apostrophé par le partisan Noël, du groupe Fontane.

- Colonel, rendez-vous, c’est un ordre.

- Surtout, aucun geste suspect, rajouta Bernard pointant son fusil mitrailleur sur le ventre de Zimmermann.

- Celui qui s’emparera de Gustav Zimmermann n’est pas encore né ! Cracha le colonel SS.

- C’est à voir, sourit Léon. Votre arme… Schnell.

Noël reprit.

- Allez-y lentement… Kommen Sie langsam…

Zimmermann sembla obtempérer. Il sortit son Luger de son étui et le tendit à Noël… mais, soudain, il fit feu d’un deuxième pistolet qui avait été glissé dans sa vareuse… le jeune partisan mourut sur le champ tandis que ses amis, médusés, étaient comme paralysés alors qu’ils avaient encore l’avantage dix secondes auparavant. Ce fut pourquoi ils se retrouvèrent descendus à leur tour par dix SS qui se tenaient derrière les résistants, ce qu’avait parfaitement vu le colonel. C’était la raison qui lui avait permis de tenter ce coup audacieux.

- Ah ! Que ces Français sont bêtes. Je les avais pourtant mis en garde. Merci, SS. Maintenant, tirons-nous de là au plus vite.

Un des soldats répondit.

- Standartenführer, une voiture vous attend, derrière le gros chêne.

- Gut. Kommen Sie.

Ainsi, le glorieux Gustav Zimmermann prenait la fuite, abandonnant ses soldats et le village aux mains de l’ennemi. En effet, les Anglais arrivaient à marche forcée, réussissant une petite percée. Moins d’une heure auparavant, un de leurs postes avancés avait communiqué l’attitude courageuse des habitants de Sainte-Marie-Les-Monts au commandant allié du secteur.

Or, Jean-Luc Mirmont, qui, lui aussi, tentait de sortir de cette nasse, n’avait pas eu autant de chance que le Standartenführer. L’odieux jeune homme fut abattu dans le dos d’un tir de mitraillette par Gaspard Fontane en personne. 

 

Deux heures plus tard, tout le village avait été investi par les Britanniques.

Encore plus tard, vers la fin de la soirée, le groupe Fontane était reçu par le brigadier général Kenneth Armstrong et le maire apprenait à l’officier que les siens détenaient un certain lieutenant-colonel von Hauerstadt. Or, l’affaire n’était pas simple, pas simple du tout pour la bonne raison que Franz avait été déclaré officiellement mort par le Standartenführer Zimmermann quelques jours auparavant. Gaspard essayait de se montrer le plus convaincant possible.

- Général, il faut nous croire… nous détenons réellement le lieutenant-colonel von Hauerstadt… et ce, depuis près d’une semaine. 

- Mais je vous crois, mister Fontane, proféra le général avec une bonhomie non feinte. Or, ce n’est pas là le problème… je n’ai pas le pouvoir de ressusciter cet officier. Du moins légalement.

- Ce qui veut dire ? Questionna Marc Fontane, se mêlant à la conversation.

- Ce qui veut dire qu’une fois que vous nous aurez livré le colonel, nous ne pourrons pas le traiter comme son grade l’exige… bref, vous nous proposez un cadeau fort encombrant, mister Fontane. Pour les siens, mais pour les Alliés aussi, von Hauerstadt n’existe plus…

- Bon sang de bon Dieu ! Comment faire alors ?

- Vous êtes maire, n’est-ce pas ? Alors, à vous de lui créer une identité de rechange…

- C’est légal, ça ? S’étonna le médecin.

- Non, mais comment agir autrement ?

- Je veux bien… mais quel nom lui donner à ce type ? S’enquit Gaspard avec un sourire rusé.

- Celui que vous voudrez. L’identité qui vous paraîtra la plus vraisemblable.

- Je crois que j’ai une petite idée sur une identité probable, commença Marc.

- Ah oui ? Laquelle donc ? S’empressa de dire le maire.

- Tu te souviens lorsque je t’ai raconté ma première rencontre avec ce foutu Boche…

- Il s’est passé tant de choses depuis, soupira Gaspard.

- Mais si… Hauerstadt s’était présenté à Antoine et à Elisabeth sous le pseudonyme du sergent Friedrich Braun… il s’agit d’un nom des plus courants, ce me semble… alors, pas de lézard. Le comte endossera cette pelure… sans difficulté…

- Euh… minute ! Objecta alors le sergent-chef Andreotti. Sous ce nom, jamais ce fumier ne sera jugé… il a pourtant participé à des séances de torture… la preuve ? Mes mains et mon dos… il a également tué des soldats alliés… que ce soit en Pologne, en France, en Afrique du Nord ou en Russie…

- Participé ? En tant que spectateur, lança le maire… Non pas que je veuille me faire son avocat, sergent, mais… il était sous les ordres de cette ordure de Zimmermann…

-Bon… Vous avez décidé de passer l’éponge, à ce que je vois, gronda le Corse…

- Tout de même pas… mais…

- Mais, reprit le brigadier général, la réputation du lieutenant-colonel von Hauerstadt a franchi les frontières… c’est un héros… s’il se retrouve au grade qui est le sien actuellement, c’est qu’il l’a amplement mérité, non pas en assassinant, mais en s’illustrant… à vingt-six ans, lieutenant-colonel, c’est extraordinaire… tous les prisonniers que j’ai vus m’ont parlé de lui… ils ne tarissaient pas d’éloges le concernant… notamment un certain sergent Otto Grass… qui a fait campagne avec lui en Pologne et en Afrique du Nord… ce qu’il m’a rapporté est digne des exploits des chevaliers de la Table ronde… 


- Va-t-il se retrouver libre ? Grommela Andreotti.

- Jamais de la vie, sergent. Je sais comment m’y prendre avec ce phénomène… vous dites qu’il est comte dans le civil ? Eh bien, il apprendra ce que travailler de ses mains veut dire, il trimera quatorze heures par jour… je puis vous garantir qu’au bout de six mois de ce régime, il aura fait amende honorable…

- Travailler dans un camp ? Interrogea Marc Fontane.

- Non… Travailler en tant que prisonnier de guerre à réparer des routes ou des machines… ou bien dans une ferme…

- Là, je suis preneur ! S’écria Gaspard la mine réjouie… je manque toujours de main d’œuvre chez moi… et les foins s’annoncent… Général, nous vous amenons Hauerstadt le plus tôt possible.

- Après notre entrevue, votre Allemand sera d’une docilité exemplaire. Il va tout de suite comprendre où se situe son intérêt…

- Et ce d’autant plus qu’il parle l’anglais comme un pur produit d’Eton et d’Oxford…

- Hum… Cela ne m’étonne pas… Si vous voulez le savoir. Mon fils Henry l’a côtoyé à Oxford en 35-36… tandis que mon Henry peinait à trouver un sujet pour sa thèse, notre phénomène lui en était à passer une première maîtrise en physique quantique… Il n’avait pas dix-huit ans ! Avant qu’il ne regagne son foutu pays, il avait donné un coup de main à mon fils… et mon petit dernier a pu présenter son mémoire un an après. Il a obtenu son grade avec mention… ensuite, il a poursuivi ses recherches à Harvard… mais avec Pearl Harbor, il a dû démissionner de son poste d’assistant…

Une larme coula sur la joue du général…

- Amenez-moi vite Hauerstadt, conclut le militaire, cachant mal son émotion… Il me tarde de faire personnellement sa connaissance.

- Compris, général, s’inclina Marc.

Tout cela ne faisait pas l’affaire de Stéphane Andreotti. Lui avait reçu pour mission de tuer Franz. Alors, il allait lui falloir ruser…

Mais de son côté, le jeune lieutenant-colonel avait saisi que la haine du Corse pouvait aboutir à son exécution. Alors, il allait tenter de s’échapper non plus pour gagner le front et rejoindre les troupes allemandes, mais bien pour réchapper à Stéphane Andreotti. Dans la tête de Franz, un plan germait. S’il n’était plus vêtu de son uniforme de la Wehrmacht, il pourrait très bien se fondre dans la foule et gagner la Champagne, puis la propriété de ses grands-parents les Malicourt…

 

*****

 

C’était déjà le soir. Pour ne pas changer ou presque, il pleuvait. Au loin, le tonnerre grondait et les éclairs zébraient le ciel. L’orage rendait nerveuse la jeune fille. Dans la grange, Elisabeth écoutait la colère de la nature se déchaîner et elle-même, en proie à des sentiments contradictoires, commençait à s’inquiéter de l’absence des partisans. Elle trouvait que celle-ci durait au-delà de ce qui avait été envisagé. Leur était-il donc arrivé quelque chose ? Etaient-ils tous encore en vie ? Et Marc ? Alors, qu’elle portait une fois encore ses yeux sur son prisonnier, celui-ci se mit à lui parler. Il l’observait depuis des heures et rien de ce que faisait sa geôlière ne lui avait échappé.

- Elisabeth, vous tremblez. Le froid, sans doute…

Aucune réponse. L’adolescente se renfermait dans le silence. Elle voulait faire comme si elle n’avait rien entendu, mais cela lui était difficile. Comme il était également difficile d’ignorer la présence de Franz.

Le jeune homme reprit d’une voix douce où se mêlait toutefois une légère touche d’ironie.

- Il est vrai qu’ici, dans cette vieille grange, nous manquons de confort. Notez que je ne me plains pas de mon sort. Mais… être attaché vingt-quatre heures sur vingt-quatre ou presque donne des fourmis dans les jambes et dans les mains.

Toujours ce silence obstiné de la part d’Elisabeth.

- De plus, je dois être affreux à voir avec cette barbe de trois jours… je ne suis guère habitué à négliger ainsi mon apparence, vous savez… vous devriez me détacher quelques minutes afin que je puisse me raser…

- C’est cela ! Répliqua la Française d’un ton dur. Pour que vous m’égorgiez avec le rasoir sans doute ? Vous me prenez pour une naïve ? Oh ! Et puis, taisez-vous ! je préfère le silence à vos mensonges prononcés avec cette voix d’une politesse surannée.

- Mademoiselle, j’ai compris que vous détestez m’entendre parler… d’accord… je ne vous adresserai plus la parole.

Le silence relatif reprit ses droits. A l’extérieur, le ciel déchargeait toute sa réserve d’eau et l’on entendait crépiter la pluie plus fortement que jamais.

Cependant, au bout de pas même dix minutes, Franz éleva encore une fois la voix.

- Elisabeth, aimez-vous l’orage ? Avez-vous des affinités avec cet état de la nature ? Quant à moi, du plus loin que je m’en souvienne, je l’ai toujours aimé. En fait, il me fascine et m’attire. Enfant, je comparais les éclairs striant le ciel à des chevaux de feu qui galopaient à toute vitesse dans les nuages et le tonnerre, c’étaient les cavaliers qui, malgré tous leurs efforts, étaient happés par les entrailles ouvertes de la terre. Lorsque la tempête se levait, je sortais jusque dans le parc du château familial et courait sous la pluie battante, espérant voir la foudre devenir une silhouette humaine et charger les arbres pluriséculaires, un peu à l’image de don Quichotte avec ses moulins à vent. Alors, malgré les appels de ma gouvernante, je restais des heures durant sous l’averse, heureux tout au fond de moi de braver ainsi les interdits de père ou de mère. Depuis, j’ai toujours éprouvé un frisson de plaisir coupable à rechercher l’orage, la tempête… car je trouve que la nature en furie ressemble en fait à nos cœurs… à nos âmes, faussement calmes mais en réalité tourmentés… quel beau spectacle !

Elisabeth se décida à répondre.

- Êtes-vous bien certain de ne pas être fou ?

- Elisabeth… ah… Elisabeth… vous n’êtes pas et ne serez jamais romantique…

- A qui la faute ? Je n’en ai pas eu le temps, colonel… grâce à vous et aux vôtres… j’ai vieilli très vite, trop vite. J’ai perdu ma mère alors que j’avais à peine quatorze ans… sur une route de France… mais cela, vous le savez déjà… alors, le romantisme et ses tourments artificiels, c’est un luxe que je n’ai pas pu me permettre.

- Hum… moi, bien au contraire, je vous trouve terriblement exaltée… combattre dans les FFI, lutter pour votre liberté, ne pas craindre de faire le coup de feu… quoi de plus beau, de plus grand pour une jeune fille !

- Silence !

Au lieu de se taire, Franz choisit de réciter un poème, un de ses préférés… 

Image dans Infobox.

- Je suis le Ténébreux, le Veuf, l’Inconsolé,

Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie,

Ma seule Etoile est morte et mon luth constellé

Porte le Soleil Noir de la Mélancolie.

- J’ai déjà entendu ces vers quelque part, réagit l’orpheline.

- Ah ! Qui ne connaît pas Gérard de Nerval ?

- Je ne connaissais pas l’auteur de ce poème… Cependant, je suis tout à fait capable de vous dire d’autres vers entendus à la BBC. Je crois qu’ils sont de Verlaine…

Après une légère pause, Elisabeth récita :

Les Sanglots longs des violons de l’automne

Blessent mon cœur d’une langueur monotone. 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/1/1c/Netsurf17_-_Paul_Verlaine.png

- Le code du Débarquement… Elisabeth, vous n’auriez pas dû… vous faites tout pour me blesser, me meurtrir…

A son tour, le jeune officier déclama le poème de Paul Verlaine, mais, cette fois-ci, dans son intégralité.

Les sanglots longs des violons de l’automne

Blessent mon cœur d’une langueur monotone.

Tout suffoquant et blême quand sonne l’heure,

Je me souviens des jours anciens, et je pleure,

Et je m’en vais, au vent mauvais qui m’emporte

Deçà, delà, pareil à la feuille morte…

Puis, immédiatement, Franz enchaîna avec les inoubliables strophes d’Apollinaire tirées de la Chanson du Mal Aimé. 

 Image dans Infobox.

Mon beau navire, ô ma mémoire !

Avons-nous assez navigué

Dans une onde mauvaise à boire,

Avons-nous assez divagué

De la belle aube au triste soir !

Une nouvelle pause puis une autre strophe.

Juin ton soleil ardente lyre

Brûle mes doigts endoloris

Triste et mélodieux délire

J’erre à travers mon beau Paris

Sans avoir le cœur d’y mourir.

Ensuite, laissant libre cours à sa tristesse et à sa douleur amoureuse, Franz osa formuler des aveux à celle qui le tourmentait mais qu’il ne pouvait s’empêcher de chérir au-delà de toute raison, au-delà de toute pudeur.

- Elisabeth, ce que vous faites remonter à la surface de ma mémoire, il n’y a que les vers d’Apollinaire qui peuvent le rendre… Nous sommes tous deux à l’unisson. Nous partageons la même déception…

- Taisez-vous !

- Non… je ne le puis… il faut que je me confie… à qui d’autre si ce n’est à vous ? Si vous saviez… c’est si dur… si dur de ne pas être né… du bon côté…

- Si dur ! Pas possible ! De faire la guerre, sans doute, d’arrêter, de torturer, d’exécuter… Mais puisque cela vous tourmente tant, pourquoi l’avoir fait justement ? Quel jeu jouez-vous ?

- Elisabeth… Cette guerre, je croyais qu’elle serait une guerre de justice… le bon droit n’était-il pas du côté allemand ? Mais après m’être leurré, je me suis réveillé. Cette guerre n’a été pour moi qu’une longue descente en enfer… une guerre qui m’a tout pris. Tous ceux que j’aimais… Mon frère Peter… mon père… et ma mère… oui, ma mère… mais il en va avant tout de ma faute… le remords me ronge… aujourd’hui, je paye au centuple mes erreurs passées… ma famille innocente, elle, a déjà supporté le fardeau de ma culpabilité… au-delà de l’entendement, au-delà de la décence. Ah ! Cette douloureuse nuit de janvier !

- Le bon droit ? De qui vous moquez-vous, monsieur le nazi ? Il n’y a pas de bon droit lorsqu’il s’agit de faire la guerre, lorsque vous prenez pour cibles des enfants, des enfants de toute nationalité, des enfants juifs, polonais ou russes. La vengeance à laquelle va bientôt succomber votre foutu pays n’est qu’un fruit amer qui, jamais, n’étanchera la douleur de quiconque. Voici qu’à leur tour, les enfants allemands apprennent cette cruelle vérité. Mais je n’en éprouve aucune consolation…

- Elisabeth… j’ai honte, si honte d’avoir la nationalité allemande, de me sentir allemand… alors que… mais…bon…

Franz s’arrêta une seconde. Il ne pouvait encore avouer le secret de sa mère… mais il se reprit bien vite.

- J’ai honte d’être vivant. Oui, j’ai fait la guerre. Oui, j’ai tué… mais jamais des enfants… jamais… Antoine Fargeau avait raison. Mes yeux s’étaient dessillés avant qu’il ne me parle… mais le mal était déjà fait… c’était pendant l’hiver 43, l’autre année donc… en Russie, plus précisément en janvier, à quelques dizaines de kilomètres de Stalingrad…

- Ah non ! Vous n’allez pas me raconter comment vous avez gagné votre putain de croix de fer première classe ! Je n’en ai rien à foutre !

- Pourtant vos yeux démontrent que mon récit vous intéresse. Je ne dois rien vous cacher, Elisabeth, rien en ce qui me concerne… ma compagnie et moi-même supportions des températures atrocement glaciales, de l’ordre de -50C°. Il faisait si froid que nous n’arrivions plus à allumer un feu car l’essence elle-même n’était plus que glace. Tout ce que nous mangions était cru et gelé. Nous en étions réduits à boire de la neige… que nous tentions de faire fondre tant bien que mal… toutes nos armes étaient devenues inutilisables parce que le froid les enrayait ou faussait les canons lorsqu’il ne les fendait pas. Nos mains restaient collées sur le métal si nous ne prenions pas garde et notre peau était arrachée. Mais nous ne sentions pas cette douleur… il faisait bien trop froid. Il ne fallait pas dormir, surtout pas sinon, la mort nous endormait pour l’éternité. Il y avait donc quinze jours au bas mot que je ne dormais plus… pour rester coûte que coûte éveillé, pour ne pas m’écrouler, pour oublier ce froid abominable, je n’avais plus qu’une ressource… boire de la vodka russe, me souler avec cet alcool bon marché. Or, malgré ce que je consommais comme alcool, je n’étais pas ivre, pas assez du moins pour ne pas oublier ce qui allait suivre. 


Désormais, la chute de Stalingrad ne faisait plus aucun doute. Avec ma compagnie, nous n’avions pu porter secours au maréchal  Paulus

 Friedrich Paulus

. Alors, notre mission se réduisait à surveiller les Russes. Nous étions postés dans un petit village et maintes fois nous avions déjà dû affronter le harcèlement des partisans. Il est inutile que je vous décrive la façon impitoyable dont ceux-ci massacraient les nôtres puisque, de notre côté, nous agissions de même… c’était bien une guerre de l’âge des cavernes, au-delà de la barbarie, au-delà de la sauvagerie. Ainsi, si nous étions encore attaqués, le général Kulm nous avait ordonné de tuer tous les villageois par tous les moyens. Or, justement, les partisans soviétiques s’en vinrent de nuit nous égorger et nous assassiner. Je n’ai jamais discuté un ordre, mais pourtant, ce jour-là, je le fis.

Je voulus avoir confirmation de celui-ci. Alors, je laissais mes hommes sous les ordres du capitaine Müller. Lorsqu’enfin, je revins, après plusieurs heures d’absence, ce que je découvris était d’une violence, d’une horreur sidérante. Un spectacle dantesque s’offrait à mes yeux. Le capitaine, poussé par Gustav Zimmermann, avait massacré tous les villageois. Un véritable carnage. Pêle-mêle, des corps en partie calcinés, des pans de murs encore fumants, des cendres, surtout des cendres et cette odeur pestilentielle qui se répandait par écharpes à des lieues à la ronde. Mais le pis me restait encore celé. Oui, les enfants avaient été abattu, plus d’une vingtaine, dans une balle dans la nuque ou la tête. Leurs petits corps pitoyables, recroquevillés étaient recouverts par des couvertures grises crasseuses et puantes. Epouvanté, écœuré, halluciné, je m’enfuis… je ne sais plus trop bien ce que je fis cette journée-là… je me rappelle seulement que je roulais longtemps et que je me suis réveillé dans un bouge, couché auprès d’une prostituée.

Après avoir repris son souffle, Franz, tout en observant toujours son garde-chiourme, enchaîna.

- Lorsque je repris conscience, lorsque je me souvins, je ne pourrais vous décrire ce qui se passa en moi, ce qui m’assaillit avec une brutalité au-delà de tout entendement. Tout mon corps fut en proie aux brûlures occasionnées par des fers rougis au feu, toute mon âme se retrouva enserrée dans l’étau de la culpabilité. Pis que le dégoût, pis que le mépris, la haine m’envahit, une haine non pas contre les partisans soviétiques, contre le capitaine Müller ou encore contre Gustav Zimmermann ou le général Kulm, mais bien contre moi-même, contre ma propre lâcheté. Car ma fuite avait permis l’accomplissement de ce forfait, de ce carnage. Souhaitant effacer cette abomination, mais cela était impossible, je me jetais dans la bataille avec une rage désespérée. J’appelais la mort, je l’interpelais, l’insultais. Mais elle s’est dérobée. Je n’ai reçu que cette maudite blessure qui a fait de moi cet handicapé, ce mort en sursis. Puis, on me rapatria auprès de ma famille. Quelle atroce comédie je dus alors jouer ! mais… comment tromper le regard d’une mère… d’une mère dont j’étais le fils préféré… moi qui, jadis, étais si heureux de vivre, j’étais devenu cet être taciturne, rêveur, inquiet, coléreux, en proie à d’effroyables cauchemars… ma mère voulut comprendre, voulut savoir… un soir, elle vint me trouver dans ma chambre et m’interrogea. Cela dura toute la nuit… honteux, je lui dis ce que les miens faisaient, ce que les Allemands avaient sur la conscience… les crimes perpétrés que je couvrais… les semaines passèrent et je fus muté en France, ici, en Normandie. Avec le grade de lieutenant-colonel alors que je n’avais pas encore vingt-six ans… pas pour acheter mon silence mais en récompense de ma conduite admirable en URSS. Quelle sombre ironie ! Ces hochets que l’on m’octroyait, comme je les méprisais… mon départ fut un véritable déchirement pour ma mère, Amélie… et… je vous rencontrai… dans mon âme asséchée, dans mon cœur, ce furent comme des ondes claires et pures, un chant d’oiseau gai et frais, alors que le cauchemar dans lequel je me mouvais depuis plus d’un an ne parvenait pas à s’estomper. Les jours s’écoulèrent et… comme une mer en furie, comme une tempête engloutissant les cargos et les yachts, je me rendis compte que je… vous aimais… oui, je vous aimais… vous êtes si belle, avec vos cheveux aux mille flammes mouvantes, vos yeux semblables à des perles noires, votre teint pareil au doux velouté d’une pêche…moi qui n’avais plus rien à espérer de ce monde, de cette existence, je vous aimais… pardon… pardon pour ces paroles, pour cet aveu… pour mon amour insensé.

Elisabeth affichait sur son visage divers sentiments. Lorsque son prisonnier eut achevé son récit, elle laissa éclater et sa colère et son désarroi. Tout en parlant, elle se tordait les mains.

- Colonel, vous avez osé vous confier à moi, moi qui suis votre ennemie, moi qui ne désire qu’une seule chose, vous voir mort. Vous avez eu le culot de me dire que vous m’aimez. Comment dois-je prendre vos paroles ? Comme des insultes ? C’est ainsi que je perçois votre déclaration d’amour… vous n’avez pas le droit de me jeter votre amour en pleine figure… pas le droit… je ne vous aime pas, je vous hais… votre présence est une torture. Une gifle… elle m’importune à un niveau dont vous n’avez pas idée. S’il n’avait tenu qu’à moi, il y a longtemps que je vous aurais descendu comme un chien, une bête malfaisante. C’est Marc que j’aime, vous entendez, c’est Marc que je veux et c’est lui que j’ai.

Franz n’avait pas quitté des yeux sa geôlière. Il savait qu’elle mentait, qu’elle se mentait.

- Elisabeth, vous me haïssez, vous êtes pleine de mépris… mais… je n’en crois rien…

- Taisez-vous ! Dieu du ciel, taisez-vous ! Sinon, je vous bâillonne.

- Elisabeth, c’est un soir d’avril que j’ai découvert que je vous aimais, c’est un soir d’avril pluvieux que je fus ébloui par cette terrible évidence… ah ! Ne m’obligez pas au silence, ne me muselez pas… il ne me reste plus que la parole… vous voulez m’ignorer, mais vous n’y arrivez pas. Vous jouez à la fois la haine et l’indifférence mais ces sentiments ne sont qu’un masque… vous faites semblant de ne pas m’entendre, de ne pas me voir, mais vous ne me trompez pas, vous vous mentez à vous-même… j’ai sept ans de trop… de trop…

Malgré elle, voyant le teint pâle de Franz, mais également les gouttes de sueur qui perlaient à son front, la jeune femme se rapprocha et posa sa main sur le visage du lieutenant-colonel.

- Vous délirez… Vous êtes brûlant… ce n’était pas prévu… que faire ? Seigneur ! Que dois-je faire ?

- Donnez-moi à boire… j’ai soif, murmura le jeune homme dont les lèvres craquelées montraient qu’effectivement la soif le taraudait.

Alors, oubliant toutes les recommandations de prudence du docteur Fontane et de son père, Elisabeth prit une gourde et donna à boire à son prisonnier. Franz avala une gorgée puis se mit à tousser. L’Allemand semblait s’étouffer. N’écoutant que son instinct, la résistante détacha le jeune officier. Or, c’était justement ce qu’attendait le lieutenant-colonel. Il n’était pas aussi faible et abattu qu’il en avait l’air. Se redressant vivement, il bouscula Elisabeth et commença à courir en direction de la porte de la grange.

Cependant, Elisabeth s’était relevée et ressaisie. Fouillant dans la poche de sa jupe, elle sortit son arme.

- Franz, arrêtez. Arrêtez immédiatement, sinon, je tire !

L’officier fit comme s’il n’avait pas entendu le rappel à l’ordre. Il ouvrit la porte mais à la même seconde, Elisabeth faisait feu avec un sang-froid admirable. Certes, ses mains tremblaient légèrement, mais elle n’en tint pas compte. La balle s’en vint fracasser l’épaule droite du fugitif. Alors, comme dans un film au ralenti, Franz tomba à la renverse. 

 

Mais effrayée par son geste, la jeune femme jeta son arme au loin. Le pistolet atterrit dans un tas de paille. Puis, se précipitant, elle s’agenouilla près du blessé et vit celui-ci perdre son sang, un sang qui coulait sans vouloir se tarir.

- Elisabeth… Meine Liebchen… pardon… de vous avoir trompé. Il fallait… que je tente quelque… chose… Stéphane… Andreotti souhaite… réellement ma… mort… vous… savez… mais… quant à mes sentiments… je vous ai dit la vérité… es tut mir leid…

- Mon Dieu ! J’ai tiré sur vous, j’ai tiré sur un homme… pour la première fois de ma vie… je ne pensais pas que j’en étais capable… je ne le voulais pas…

- Moi… non plus… je ne croyais pas que… vous le feriez… à cause… de vos sentiments… que vous ne cachez pas si bien…

- Franz… je ne veux pas que vous mouriez… je ne le veux pas !

Plus que jamais, Elisabeth se tordait les mains.

- Vous n’allez pas mourir, Franz… je vous en supplie… dites-le moi… rassurez-moi… toutes mes paroles si cruelles… je ne les pensais pas… c’étaient des mensonges… pardon…

- Je me sens si faible… la douleur…

- Qu’ai-je fait ? Ah ! Qu’ai-je donc fait ? Comment rattraper cela ?

S’en retournant vers la porte, Elisabeth la ferma, puis, soutenant son prisonnier, elle le conduisit à un vieux matelas sur lequel elle l’allongea.

- Franz… je ne veux pas avoir votre mort sur la conscience… répondez-moi… de grâce… ne fermez pas les yeux…

Le regard gris bleu du jeune homme se troublait, son visage se crispait.

- Franz, je ne vous hais pas… je vous aime… mais j’ai honte de vous aimer, si honte… aimer un ennemi, c’est trahir les miens, Marc, mes amis, mes compagnons de la résistance, mon pays…

- Ich… weiss… Ich verstehe… alles…

- De toutes mes forces, je vous ai repoussé, mais cela n’a servi à rien… dès le premier regard que j’ai posé sur vous, je vous ai aimé… et cet amour n’a fait que croître avec le temps… il n’y avait qu’auprès de vous que je redevenais la petite fille aux yeux tranquilles avant que ma mère meure sur une route de campagne… en votre présence, je recouvrais mon innocence… mon cher Marc me semblait bien pâle auprès de vous… il me courait après depuis le début de l’année… mais… je lui résistais… lorsque je me rendis compte qu’en fait c’était vous, Franz que je voulais, que mon amour était absurde, j’ai tout fait pour vous faire du mal, je me suis acharnée à vous humilier, encore et encore… comprenez-vous ? Je vous ai haï et aimé à la fois. Est-ce possible une telle chose ? Est-ce possible d’être ainsi écartelée entre deux sentiments tout à fait opposés ?

- Ja… das ist möglich… meine Liebe…

- J’avais beau y faire, je ne parvenais pas à rester fidèle à Marc… je vous avais toujours devant les yeux, la nuit, je ne pensais plus qu’à vous… Oui, je me mentais, je lui mentais… je lui mens encore… votre visage me harcelait, vos yeux si bleus lorsqu’ils étaient heureux, votre sourire si tendre et si léger à la fois… lorsque Bobby fut tué, je suis devenue la maîtresse de Marc… je me suis donnée à un homme que je croyais aimer depuis mes quinze ans… absurde, non ? mais… c’est toujours vous, en fait que j’aimais et que j’aime… Marc n’était pas à la hauteur de la dévotion, de l’admiration que je lui portais… il vivait en parallèle maritalement… ou presque avec cette pseudo Carole Lavigne… Comment ai-je pu lui accorder ma confiance ? Ma virginité ? Oh ! Il a été content, le salaud lorsqu’il a vu qu’il était le premier… mais il ne m’en a pas remercié…

- Elisabeth… Il a réagi en mâle… c’est tout…

- Franz, vous savez tout maintenant… sauf que j’attends un enfant, l’enfant de Marc Fontane, un coureur, un cavaleur de première… mais que puis-je faire d’autre sinon l’épouser ? Cet enfant doit avoir un père…

- Je… vous remercie pour ces aveux, meine Liebchen… meine Lisbeth. Maintenant, il ne me reste plus qu’à… mourir… sans revoir le ciel laiteux de mon enfance… les arbres si hauts, si forts, les fleurs qui embaumaient dans le jardin, les roses… exquises de ma mère… les lacs aux eaux tranquilles, les orages… et les champs de blés dorés sous le soleil couchant… sans revoir non plus ma mère… Amélie…

- Franz, vous n’allez pas mourir… je suis en train d’examiner votre blessure… oui vous perdez votre sang… l’os de l’épaule est cassé… mais ce n’est pas mortel… je vais faire de mon mieux en attendant le retour de Marc… je vais désinfecter la plaie d’abord… puis vous bander…

Ayant versé de l’eau de vie sur un mouchoir, Elisabeth lava la blessure du jeune officier puis elle entoura l’épaule de bandes blanches propres, ayant tout d’abord pris soin de la comprimer.

-C’est fait, Franz… maintenant, tâchez de dormir… Marc ne va certainement pas tarder…

- Dormir ? Oui… pour rêver de vous, mon amour… puis-je vous demander une faveur ?

- Euh… bien sûr…

- Donnez-moi un baiser… embrassez-moi… ce sera à la fois la première et la dernière fois…

Très doucement, Elisabeth déposa un baiser léger sur les lèvres du jeune officier.

- Mon amour… ma chérie… Danke schön… Elisabeth, je vous aime…

- Moi aussi… Franz… oui, moi aussi…

Ainsi, les deux jeunes gens que tout opposait s’aimaient d’un amour plus fort que la haine, plus fort que la mort. Si l’histoire avait suivi son cours normal, ces deux-là se seraient séparés à jamais mais… Marc Fontane et sa jalousie allaient changer la donne… 

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