Un goût d'éternité 5e partie : Elisabeth : 1944 juin (2).

 

A la suite de la disparition soudaine du lieutenant-colonel von Hauerstadt, le Standartenführer Zimmermann oscillait entre le contentement et la colère. Il ordonna à Anna von Wissburg d’enquêter sur ladite disparition. Mais l’officier SS ignorait que la jeune femme, humiliée par Franz à la suite de la mission que le jeune homme lui avait confiée précédemment à propos de la résolution des mystères concernant différents trafics, ce qui l’avait obligée à se mettre au mieux avec le dépravé Ludwig Hans, s’était mise à haïr son ancien amant. 

 

Ensuite, Zimmermann commanda à son fils d’arrêter toutes les personnes susceptibles de posséder des renseignements sur l’enlèvement supposé du lieutenant-colonel. Comme à son habitude, l’adjudant SS allait outrepasser ses ordres.

Ainsi, le père d’Elisabeth, le brigadier de gendarmerie Michel Granier, fut-il traîné à la Kommandantur et interrogé par le Standartenführer en personne. Ludwig Hans servait d’interprète à son père.

- Alors, monsieur Granier, lança d’un ton narquois le colonel SS, vous ignoriez que votre fille Elisabeth était un membre des plus actifs du réseau de terroristes sévissant à Sainte-Marie-Les-Monts ? Je ne crois pas une minute à toutes vos dénégations.

- Colonel, je vous assure pourtant de ma bonne foi, fit le gendarme tout transpirant. Je ne comprends pas pourquoi ma fille a agi ainsi. Je ne savais absolument pas qu’elle participait à des actes de rébellion.

Au lieu de nier toute implication de sa progéniture dans la Résistance, Michel reconnaissait implicitement les accusations formulées par le Standartenführer. Mauvaise stratégie de défense. Après avoir marqué une légère hésitation, le gendarme reprit.

- Personnellement, je suis un bon Français. J’obéis aux directives du Maréchal Pétain, 

 

j’ai sa photo bien en vue dans la salle à manger et sur ma table de chevet, je lis la presse gouvernementale et j’écoute la radio de Paris. Si nous avons été vaincus en 40, c’est parce que vous étiez les plus forts. Je désapprouve donc ceux qui, à Londres, envoient des jeunes se faire tuer stupidement.

- Monsieur Granier, je vais tâcher de parler clairement. Votre fille a attenté à l’effort militaire du Reich. Notre Führer bien aimé a deux sortes d’ennemis, les communistes ou apparentés et les Juifs. Les communistes veulent conquérir et asservir le monde entier par la révolution prolétarienne et la ploutocratie juive affame le peuple en se gorgeant des richesses provenant du travail des ouvriers et des honnêtes travailleurs. Or, Elisabeth, en tant que terroriste, a choisi son camp et est devenue une ennemie du Reich, elle adhère explicitement ou implicitement au communisme. Elle est sans doute une cryptocommuniste. Vous comprenez ?

- Euh… oui, bégaya Michel Granier.

- Bien. Maintenant, vous n’allez pas me faire avaler la fable que votre fille a pu vous dissimuler durant ces derniers mois ses activités souterraines ? Je ne suis pas idiot !

- Je ne me doutais de rien. Je n’ai rien vu venir.

- Ecoutez, monsieur Granier. Mon temps est précieux, plus précieux que jamais. Je ne supporte pas les gens qui mentent et jouent les candides. En réalité, vous avez combiné avec votre fille l’enlèvement du lieutenant-colonel von Hauerstadt, un cœur tendre soit dit en passant, qui a gobé une fable quelconque et est tombé volontairement ou non dans votre piège.

- Un cœur tendre ?

- Evidemment… Vous le receviez chez vous… en tant qu’amant de mademoiselle sans doute ?

- Je…

- Alors, cela a été un jeu d’enfant d’enlever von Hauerstadt. Maintenant, j’ai deux questions à vous poser. Où se trouve présentement le lieutenant-colonel ? Qui sont vos complices ?

- Mais… je n’ai rien fait. Je ne savais pas ce qui se passait dans mon dos. Moi aussi, j’ai été la victime de ce qui s’est passé. On a abusé de ma naïveté… Hier matin, à l’heure de l’enlèvement supposé du colonel, j’étais de service à Tilly. De nombreux témoins peuvent attester de ma présence sur la place du marché.

- Brigadier ! Cessez de mentir ! Vous n’êtes pas crédible du tout ! J’en ai maté des fortes têtes… des individus bien plus redoutables que vous. Vous êtes pitoyable avec vos dénégations.

- Je ne fais que dire la stricte vérité, colonel.

- Avez-vous peur de la mort ? Y avez-vous déjà pensé ?

- Oui… enfin… sans doute… comme tout le monde…

- Vous voyez cette arme, n’est-ce pas ? Mon automatique… il contient huit balles. Si vous vous obstinez à démentir, je vide mon chargeur sur votre damnée petite cervelle de Français têtu !

- Vous n’allez pas faire ça ? Me descendre ainsi ? Sans procès et sans jugement ?

- Nous sommes en guerre, monsieur Granier !

- Je ne sais strictement rien. Ce que je voulais, c’était : pas d’histoire… poursuivre ma vie tant bien que mal…

- Alors ? Vous avouez ? Vous vous entêtez à me prendre pour un imbécile ? Dépêchez-vous de faire votre choix.

- Je suis innocent… je n’ai rien d’autre à vous dire…

-Ah ! Brigadier, désolé… mais je suis dans l’obligation de faire feu.

Alors, une première fois, le Standartenführer tira mais la balle passa au-dessus de la tête de Michel Granier. C’était là un acte volontaire de Zimmermann.

- Ah ! Quel maladroit je fais ! Mais le prochain coup de feu sera le bon…

Tandis que le malheureux gendarme devenait aussi blanc que sa chemise, le Standartenführer déchargeait son arme dans la tête de sa victime. Le crâne fracassé, des éclats d’os parsemant le sol, de la cervelle maculant son uniforme, Michel s’effondra sur la chaise où il se tenait ligoté.

- Ach ! Das ist eine gute Arbeit… Ludwig… tu me débarrasses de ce cadavre au plus vite… il salope le tapis…

- Jawohl, Vater…

 

*****

 

Après l’odieux assassinat du père d’Elisabeth Granier, le sang ne cessa pas pour autant de couler dans la région. Afin de venger la mort supposée du lieutenant-colonel von Hauerstadt-  Zimmermann avait fait croire que les résistants auteurs de ce forfait avaient abattu leur prisonnier – les SS, soutenus par les miliciens, dont Jean-Luc Mirmont, atteignirent un nouveau degré dans l’horreur, s’amusant à descendre leurs otages, et ils étaient nombreux, des civils innocents arrêtés lors des rafles précédentes mais également des déserteurs de l’armée allemande, les prenant comme cibles vivantes. Les SS devaient faire un carton sur ces individus d’origines et d’âges divers. Ce jeu de massacres se déroulait de la façon suivante. 

 Fichier:The British Army in Normandy 1944 B8507.jpg — Wikipédia

C’était dans les caves de la Kommandantur, alors que les Alliés n’étaient plus pourtant qu’à dix kilomètres de la ville, que les exercices particuliers de tir se déroulaient. Tout au fond d’un vaste local gris, agenouillés, les bras solidement attachés, les yeux bandés, quinze hommes en civil ou en uniforme de la Wehrmacht. A quinze mètres, quinze SS également, en position de tir. Celui qui commandait cet exercice n’était autre que l’adjudant Ludwig Hans.

- Ach… nein… das ist schlecht… sehr schlecht… Soldat Haendel, il faut abattre votre cible en vingt balles, pas moins… la tuer à petit feu… le temps pour elle qu’elle souffre… et prenne conscience de sa mort prochaine… quel gâchis ! Oui, c’est très mauvais. Apprenez à viser juste, nom d’un chien. Teufel ! Sinon, vous irez prendre sa place… compris ?

- Jawohl, Herr Sturmscharführer.

- Und Sie, Panzergrenadier Friednormann ? Ach… Gut… sehr gut… Sie haben understand…

Voilà donc à quoi passait son temps ce groupe de SS au lieu de se battre dans les faubourgs de Caen…

 

*****

 

Or, pendant ce temps, les Alliés s’ancraient solidement à la terre de Normandie. A peu près un mois auparavant, Belkovsky avait tenté de s’évader de sa prison soviétique. Mais il avait été repris après une cavale de seulement quelques heures.

Le 15 mai, le major William O’Gready débarquait sur l’Île de Wake avec des marines US. Les Japonais venaient de subir une nouvelle défaite. Mais ils étaient encore bien loin de vouloir se rendre.

En Europe, le 4 juin 1944, Rome était libérée par les forces alliées après des semaines de durs combats. Le journaliste Giacomo Perretti pouvait enfin sortir de prison.

Mais revenons à Franz von Hauerstadt et au sort de sa famille. Peu avant son enlèvement, le jeune homme avait reçu deux lettres de sa mère. Des missives qui lui étaient parvenues par miracle. Le premier courrier lui confirmait la mort de Peter, son jeune frère, exécuté pour désertion. La deuxième lettre lui apprenait que son père officiel, le duc Karl, à la suite de l’abominable nouvelle que constituait la fin déshonorante de son fils cadet, avait eu un infarctus qui avait eu raison de lui. Désemparée, livrée à elle-même, Amélie, la mère, ne savait plus à qui ou à quoi se raccrocher. De plus, la veuve laissait sous-entendre que la Gestapo en avait après elle et qu’elle n’allait sans doute pas tarder à être arrêtée… et… déportée…

Bref, le ciel tombait sur la tête de Franz et il n’y pouvait rien. Tous ses sacrifices s’étaient en fait avérés inutiles… si jamais les autorités militaires apprenaient qu’il avait donné son accord quant à sa participation dans le complot qui devait tuer Hitler, c’en était fini de lui… en effet, le jeune homme, recruté par son ancien général, le Maréchal Rommel, avait souscrit à cette idée qui, à ses yeux, devait au moins sauver l’honneur de l’Allemagne… 

 Erwin Rommel

On se doute de l’espèce d’anéantissement qui s’abattit sur le jeune homme… mais il devait continuer à faire semblant… jusqu’à ce que le complot aboutisse…

Franz ne recevrait plus jamais de lettre de sa mère. Il n’apprendrait que plus tard le terrible sort de la duchesse von Hauerstadt, née comtesse de Malicourt… et ce, par l’intermédiaire de Raoul d’Arminville qui avait fait tout ce qui était humainement possible pour sortir Amélie, une femme qu’il avait réellement aimée, de cet enfer qu’était le camp de Birkenau-Auschwitz. Mais l’aventurier était arrivé trop tard… Amélie était morte en août 1944, n’ayant survécu dans ce lieu maudit que trois mois…

En fait, le kidnapping de von Hauerstadt par les résistants de Sainte-Marie-Les-Monts l’avait sauvé d’une arrestation par ses compatriotes tout d’abord, d’une mort ignominieuse ensuite par pendaison, suspendu à l’envers à un croc de boucher. Naturellement, seul Antoine Fargeau savait tout cela.

L’ex-étudiant de Cal Tech avait bien pour mission première de sauver à n’importe quel prix le jeune homme. Pour l’heure, il y avait parfaitement réussi mais sa baraka risquait de ne pas durer davantage à cause de l’existence de deux grains de sable, Carole Lavigne et Stéphane Andreotti.

Or, justement, Gustav Zimmermann venait de recevoir l’ordre de l’OKW de faire comparaître le lieutenant-colonel devant une commission d’enquête militaire, sous le motif que l’on commençait à Berlin à douter de sa loyauté envers le Führer et le nazisme. Bien évidemment, les accusateurs ne possédaient encore aucune preuve pour étayer cette accusation. Une arrestation préventive était donc envisagée…

On s’en doute, le Standartenführer se sentait fort gêné aux entournures. Seule l’agent de l’Abwehr aurait pu savoir où se trouvait le lieutenant-colonel. En effet, le colonel SS avait ordonné à la jeune femme d’en finir au plus vite avec von Hauerstadt. Avec zèle, Carole avait obéi. Mais cela faisait plusieurs jours que mademoiselle n’avait plus donné de ses nouvelles.

Dans ce cas, comment la rappeler et lui commander que, désormais, la première priorité était de délivrer le lieutenant-colonel et de le ramener vivant devant lui, le Standartenführer…

Dans la confusion la plus totale, Zimmermann s’avouait dépassé.

- Bon sang ! Pourquoi le lieutenant von Wissburg s’est-elle hâtée à obéir ? Parce que, sans aucun doute, elle éprouve pour le lieutenant-colonel de la haine… tous deux ont été amants autrefois… mais cela remonte à 37… Qui a rompu et dans quelles circonstances ? Si von Wissburg hait ce maudit Franz, assurément, elle va tout faire pour le faire descendre par les terroristes. Or, avec les derniers ordres de Berlin, je suis coincé… c’est la dernière fois que je confie une telle mission à une femme… jamais plus je n’accorderai ma confiance à ces femelles en jupon…

Toutefois, le Standartenführer avait d’autres soucis bien plus importants : le Débarquement des Alliés. En effet, les Anglo-Américains s’accrochaient, progressaient dans leur avancée, pas autant qu’ils l’espéraient mais tout de même, lentement mais sûrement, les Allemands reculaient. Alors, les nazis étaient contraints de bander toutes leurs forces pour tenter de rejeter l’ennemi à la mer.

Zimmermann était dorénavant un homme fort occupé. Lui qui n’avait jamais réellement combattu se retrouvait en première ligne sur le front et il faisait preuve d’une inefficacité tout à fait surprenante. Là se trouvait le revers de la médaille pour ce policier, ce fanatique, ce tueur, qui n’avait exercé jusqu’à ce jour que de basses et sanglantes missions de rétablissement de l’ordre.

Quant aux généraux allemands, ils paraissaient eux aussi tout autant débordés. Seul le maréchal Rommel avait compris la stratégie du commandement allié, et ce, dès le 10 juin. Mais il était sous les ordres du général en chef des forces nazies von Rundstedt

 Gerd von Rundstedt

 qui commandait et supervisait les armées B et C du front, bien qu’il rendît directement des comptes à Berlin. Il n’avait donc pas l’initiative de la contre-offensive. Ceci dit, après la libération de la ville de Caen et la percée de Falaises, von Rundstedt serait remplacé par von Kluge… mais cela n’arriverait qu’au début du mois d’août 1944.

 

*****

 

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