Un goût d'éternité 5e partie : Elisabeth : 1944 mai (4).

Quant à Michaël, à Los Angeles,



 Il continuait à se concentrer sur la tâche bien prosaïque de désintégrer ou de projeter dans un passé lointain les missiles lancés aussi bien par les Américains que par les Soviétiques. Il refusait de se poser des questions. Cependant, il savait lui aussi que le jeune Antoine Fargeau avait échoué dans son désamorçage de la bombe et qu’il avait servi d’intermédiaire à une Volonté inconnue. Franz von Hauerstadt avait été sauvé ; cela seul comptait aux yeux de l’Homo Spiritus. L’agent temporel avait eu parfaitement conscience d’avoir frôlé la non-existence… cette peur rétroactive, il ne voulait plus la connaître…

Or, en cette journée pas si ordinaire de mai 1944, le pigeon avait enfin battu des ailes dans le ciel et le soleil avait poursuivi sa course à l’horizon.



 Dans le fossé boueux, une respiration régulière. Le sergent Otto Grass, qui était sorti de son inconscience, n’eut qu’une pensée :

- Le colonel… où est le colonel ?

Le brave soldat courait dans tous les sens. Enfin, avisant le corps inanimé mais intact de Franz, il se pencha sur lui et l’examina.

- Dieu du ciel ! Merci. Il vit…

Péniblement, il tira le lieutenant-colonel de son fossé et le ramena sur le bord de la route. Quelques minutes plus tard, le jeune homme rouvrait les yeux.  

- Sergent… c’est vous ?

- Oui, colonel…

- Mais… Schiess ?

- Je… ne sais pas, mentit le sergent.

- Que… s’est-il passé, sergent Grass ?

- Un… attentat… l’Opel était sabotée…

- La boîte noire… mais elle était minuscule…

- Mon colonel, ne vous tracassez pas. Il nous faut trouver des secours… vous avez été choqué… rudement… peut-être même avez-vous des lésions internes… alors, restez allongé… je m’occupe de tout…

Epuisé, Franz ne put qu’acquiescer.

En l’an 40 120 ou plutôt en l’an 132 543, S1 était dans tous ses états.

- Michaël nous a tous sauvés… il a reçu toute l’énergie de l’Univers… pourvu qu’il ait oublié ce qu’il a fait…

 

*****

 

François Granier avait une sale tâche à accomplir. Bien qu’il répugnât à verser le sang, il lui fallait abattre un traître dans le réseau de Raoul d’Arminville avant que tous ses amis et son chef vénéré fussent livrés entre les mains de la Gestapo.



Alors, ce matin-là, soigneusement grimé, ressemblant à un ouvrier tout à fait ordinaire, il prit le bus pour la banlieue nord de Paris. Dans la clandestinité depuis trois ans déjà, il était aguerri et son visage ne marquait que la plus parfaite monotonie lasse du travailleur qui s’en va à l’usine après une trop courte nuit de sommeil. Dans son vêtement bleu de chauffe, il ne dépareillait pas, la casquette vissée sur son crâne, le mégot de gitane aux lèvres.

Lorsque François demanda l’arrêt, il fut imité par d’autres ouvriers et ainsi, il put se fondre parmi eux, tout à fait anonyme. Puis, tout comme eux, il se dirigea d’un pas traînant vers le portail d’une fonderie. Mais il n’y pénétra pas et, en embuscade sous un vieux porche, il attendit sa cible.

Celle-ci ne tarda guère. C’était un individu quelconque dont le seul caractère notable était une moustache noire et drue ornant ses lèvres charnues. Alors que le contremaître s’apprêtait à entrer dans la cour de la fonderie, soudain, une silhouette s’interposa et, avant que le délateur ne puisse réaliser ce qui se passait, il était mort, descendu de trois balles tirées par François. Ce forfait accompli, le résistant laissa tomber sur le traître un papier où il était inscrit un court texte explicatif du style : indic des nazis, dénonciateur de quinze bons Gaullistes.

Le jeune homme ne fut pas le moins du monde inquiété pour la bonne raison que, lorsqu’il regagna la capitale, il avait changé de costume et de maquillage. Un peu plus tard, il téléphonait à son correspondant, lui disant simplement ceci : je n’ai plus de cerises.

 

*****

 

Or, tandis que ce drame de la Collaboration avait lieu, à Sainte-Marie-Les-Monts, Antoine Fargeau s’expliquait avec Marc et Gaspard Fontane. La discussion, animée, se déroulait dans la ferme du maire. Nadine, l’épouse, donnait à manger aux poules dans la cour et ne captait que quelques bribes des échanges et des éclats de voix.

- Antoine, grommelait Gaspard. Comment voulais-tu que je sache que le Standartenführer ne serait pas dans sa voiture ? C’était impossible à prévoir cette substitution de personne. En quoi cela change-t-il la donne, de toute façon ?

- Un nazi vaut un autre nazi, jeta Marc.

- Ah bon ? Ce Zimmermann est autrement plus dangereux que von Hauerstadt ! Répliqua l’ex-étudiant de Stephen. Tu sais ce que ça va nous valoir cet attentat ? Toutes les personnes arrêtées à Caen, et je vous rappelle à tous deux qu’il y en avait une centaine, vont être passées par les armes au mieux…

- Au mieux ? Siffla Gaspard. Mon petit… qu’est-ce que le pire selon toi ?

- Le pire, c’est la déportation dans un camp de concentration…

- Oui, et alors ? Questionna le médecin.

- Les déportés vont être condamnés à trimer jusqu’à ce que mort s’en suive… s’ils ont de la chance… s’ils font partie du bon tri… sinon…

- Sinon quoi ? S’enquit Marc.

- Sinon… c’est un aller simple pour la chambre à gaz… ensuite… eh bien… le four crématoire…

-Comment peux-tu avancer une telle horreur ? S’écria le médecin.

- J’ignore les critères de sélection des gardiens des camps, répondit Antoine, le visage fermé… mais… honnêtement, j’espère de tout cœur que les cents notables seront… fusillés… au moins leur mort sera digne… et rapide…





- Je réitère ma question, gronda Marc Fontane.

- Mes sources ont sûres… elles ne révèlent que des faits avérés.

- Oui ? Mais encore ? S’entêta le médecin.

- Oh ! Marc ! Ne fais donc pas semblant d’avoir déjà oublié ce que j’ai dit chez Fridin le mois dernier.

- Une histoire à dormir debout, ironisa Marc. Nous ne t’avons cru que parce que nous avions encore la frousse.

- Ce conte ridicule dans lequel notre artificier vient du futur ? Se mit à rire le maire.

- Pourtant, c’est la vérité, proféra Antoine avec assurance.

- Moi, je demande une preuve irréfutable, insista Gaspard.

- Bon sang ! Mais les preuves abondent, nom d’une pipe… cette bombe que j’ai construite… avec des matériaux que l’on ne trouve pas encore parce qu’ils n’ont pas encore été inventés… ces disques… anachroniques dont le copyright remontait à 1940 et que j’avais en ma possession depuis 36… et ces écouteurs, et ce micro… tenez… examinez-les de près… et extasiez-vous…

- D’où sors-tu ça ? S’exclama Gaspard.

- Et ce n’est pas tout… voyez ce mini magnétophone… il fonctionne avec des piles… que voici.

- Tes poches nous réservent encore d’autres surprises ou c’est pour l’épate ? Ricana Marc.

- Je m’attendais à ce que la discussion tournât ainsi. Alors, j’ai apporté des biscuits…

Puis, d’un geste rapide, Antoine appuya sur la touche play de son enregistreur. Aussitôt, les trois hommes entendirent le début de la conversation.

- Bon… vous me croyez maintenant. Ça vous en bouche un coin, pas vrai ?

- Hum… Comment as-tu fait, mon gars ?

- Monsieur le maire, j’avais mis le magnéto à cassettes sur la position recording… et comme l’appareil est à piles, inutile de le brancher sur secteur… de toute manière, vous n’avez ici que du 110 volt et non pas du 250…

- Putain d’engin ! C’est qu’il est minuscule…

- Fabrication japonaise. En ce domaine, les Nippons sont les meilleurs… euh… désolé…



- De quand date ce modèle ?

- 1992.

- Ouais… et tu viens de quelle année ? Dit Marc en haussant les épaules.

- De 1993…

- Et ton informateur californien ? Poursuivit le médecin.

- Il vit à la même époque que moi… mais il n’y est pas né…

- Donc, il vient d’un futur encore plus lointain ? Rigola Gaspard.

- C’est cela… d’ailleurs, si le lieutenant-colonel était mort dans cet attentat, c’en était fichu de lui… et de moi… par la même occasion.

- Bah ! Pourquoi donc ?

- Monsieur le maire, von Hauerstadt est à l’origine du déplacement spatio-temporel… Du moins, il en a été un des pionniers, réussissant à théoriser celui-ci et à résoudre les équations ultra délicates et d’une complexité inouïe qui permirent à un module de voyager dans le passé…

- Hum… admettons… c’est pour garantir l’avenir de ce Boche que tu es venu chez nous ? Pour vivre des vacances de rêve ? Tu as dû tomber de haut, mon petit.

- Non… je m’y attendais… ma seule crainte, c’était de mourir avant d’avoir réussi à préserver la vie de Franz von Hauerstadt…

- Donc, ta tâche n’est pas achevée, conclut Gaspard.

- Exactement… les semaines qui vont suivre vont être déterminantes pour plusieurs raisons. La présence parmi nous de Cornelius et George vous aura fait comprendre que le Débarquement se profile à l’horizon et qu’il aura lieu ici, en Normandie.



- Bien évidemment, tu ne diras rien de plus ?

- Non, monsieur le maire ! Sauf que le lieutenant-colonel doit rester en vie, à n’importe quel prix…

- Ma parole… Tu n’exagèrerais pas un peu, Antoine ? Siffla Marc entre ses dents.

- Non… je suis prêt à sacrifier ma propre existence pour que le duc von Hauerstadt puisse survivre à cette fichue guerre et concrétiser ainsi les civilisations qui viendront.

- Mazette !

- C’est en toute connaissance de cause que j’ai obéi aux ordres de celui qui m’a missionné ici.

- Un sacrifice ?

- Une délivrance plutôt. A mon époque, le monde est encore plus fou, plus désespérant et désespéré que le vôtre… aux dernières nouvelles, un troisième conflit mondial aurait éclaté… et New York serait la proie des flammes.

- Bien évidemment, tu gobes tout ce que te raconte ton supérieur.      

- Jamais il ne m’a menti.

- D’accord… Antoine ?

- Oui, Marc ?

- Elisabeth ? Elle n’était pas chez elle, ce matin…

- Elle est allée rendre visite au lieutenant-colonel. Le major von First, le médecin, lui a recommandé de prendre huit jours de repos… alors…

- Alors, comme une gentille fille, elle suit tes ordres…

- Ne sois pas si stupidement jaloux, Marc…

- Marc, fit Gaspard… il y a anguille sous roche entre toi et Elisabeth Granier ? Je n’aime pas ça…

- Une amourette, rien de plus…

- Que tu dis… mon fils, je trouve que tu cours un peu trop le guilledou… je ne voudrais pas me fâcher avec Michel Granier, vois-tu…

- Ne t’en fais pas…

Gaspard observa son fils deux secondes et choisit de le croire. Mais Antoine savait… Marc Fontane et Elisabeth étaient maintenant amants…

 

*****

 

Quelques jours après cette discussion, Stéphane Andreotti, qui avait survécu aux interrogatoires de Zimmermann et aux tortures qui allaient avec, et, qui, bol incroyable, n’avait pas été condamné à mort et qui croupissait toujours dans une des caves de la Kommandantur, bénéficiant d’une complicité, réussit à s’évader d’une manière rocambolesque et put établir le contact avec les hommes de Gaspard Fontane.

Pendant ce temps, après son repos forcé, Franz reprit ses visites vespérales chez le brigadier Michel Granier. La fin du mois de mai s’annonçait et le jeune homme avait de plus en plus de mal à réprimer le sentiment amoureux qu’il éprouvait pour seine kleine Puppe mit schwarzen Augen.

 

*****


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