Un goût d'éternité 5e partie : Elisabeth : 1944 mai (2).

 

Elisabeth enterra donc son chien Bobby. Cette tâche macabre achevée, assise dans la cuisine, effondrée et apathique, la jeune fille laissait errer ses yeux dans la pièce familière, les posant parfois sur un verre d’eau à moitié vide qu’elle s’était servi et qui était posé sur la petite table en bois ordinaire.




Un coup de sonnette la tira soudain de sa prostration. De qui pouvait-il donc s’agir ? Qui venait à cette heure fort tardive ? Il était plus de deux heures du matin et la jeune fille n’attendait personne. Son père avait la clé. Il n’aurait pas sonné. Le lieutenant-colonel avait promis de revenir mais pas aussi tôt…

Se levant avec lenteur, Elisabeth s’enquit de l’identité de son visiteur. Marc Fontane se profilait devant la porte principale du pavillon. Il revenait de chez un patient qui avait nécessité des soins urgents. Le jeune médecin savait l’adolescente seule chez elle. Du moins, il l’espérait.

Toute troublée mais aussi soulagée, Elisabeth raconta d’une voix hachée les tristes événements de ces dernières heures. Marc écouta tous les propos en silence, les yeux et le visage sombres. Lorsque la jeune fille eut terminé son récit, il ressentit une certaine colère à l’égard de l’officier allemand, ne lui pardonnant pas sa présence chez les Granier et cette intimité relative qui s’était établie entre l’adolescente et lui.

Alors, épuisée, poussée à la fois par le désespoir et par l’amour qu’elle croyait encore ressentir pour Marc, Elisabeth se donna à lui. Cela se passa dans la salle de séjour, sur le divan. Il n’était pas question pour les jeunes gens de monter dans la chambre où ce drame affreux avait eu lieu. Au moment fatidique, la jeune femme n’éprouva rien de particulier si ce n’était une douleur aiguë. Cependant, avec satisfaction, Marc Fontane constata qu’Elisabeth était encore vierge et qu’il était bien le premier. Un peu plus tard, le médecin remit la chose sans un cri de protestation de sa partenaire.

Heureux et comblé, il repartit vers les cinq heures du matin. Enfin, il était parvenu à ses fins. Mais il n’avait eu aucun mot de remerciement pour Elisabeth Granier, aucune reconnaissance à ce qui avait été pour elle une sorte d’autodafé de son innocence, de son enfance.

 

*****

 

Le Standartenführer Gustav Zimmermann jouissait décidément d’une grande puissance et d’appuis solides. Ludwig Hans ne fut condamné qu’à vingt-quatre heures de cellule tandis qu’un blâme fut porté sur son dossier. Von Hauerstadt n’avait pu obtenir davantage, son rapport ayant fini dans une corbeille.

 

*****

 

En ce printemps 1944, les SS multipliaient les atrocités partout en Europe alors que Pierre Laval



encourageait les jeunes Français à s’enrôler dans les Waffen SS afin de lutter contre les terroristes. Les Allemands, quant à eux, redoutaient que le maréchal Pétain fût enlevé par les maquisards. Alors, le 7 mai, ils contraignirent le vieillard à s’installer au château de Voisins, près de Rambouillet.

 

*****

 

Pendant ce temps, à Sainte-Marie-Les-Monts, la grande Histoire rejoignait la locale. Le groupe de résistants commandé par Gaspard Fontane allait recevoir le renfort imprévu de trois soldats des armées alliées, la preuve que le Débarquement s’annonçait et qu’il allait se dérouler dans la région. Il s’agissait du sergent Cornelius Jackson, de l’armée américaine, du Caporal George Watson, appartenant à l’armée britannique et du sergent-chef Stéphane Andreotti, des forces françaises libres. Nous avions déjà entrevu ce jeune homme alors qu’il allait rendre visite à son oncle à Londres.



Les trois hommes furent parachutés de nuit dans la campagne normande, dans les environs du village de Sainte-Marie-Les-Monts. Léon, Gaspard, André et Noël se tenaient à l’affût pour récupérer les parachutistes. Mais Stéphane n’eut pas de chance. S’étant posé un peu trop loin, il fut arrêté par une patrouille allemande et conduit, menotté, à la Kommandantur de Caen. Comme il n’était pas en civil, qu’il avait sur lui des papiers militaires authentiques, il fut d’abord interrogé à peu près dans les règles par les services de sécurité allemands.

Or, ce premier interrogatoire n’aboutit à rien. Alors, le prochain, ce serait le lieutenant-colonel von Hauerstadt qui s’en chargerait. Bien évidemment, Franz détestait cette partie de son travail… mais… il n’y pouvait rien. Zimmermann lui avait donné des ordres clairs là-dessus.

Parallèlement, une des boîtes aux lettres du groupe de Gaspard Fontane, le pharmacien Robert Flandrieux était arrêté à la suite de la déclaration de la secrétaire de Marc Fontane, Anna von Wissburg. Gustav Zimmermann se chargea de faire cracher le morceau au pharmacien avec sa brutalité coutumière. Mais Robert, déjà âgé, succomba à la torture au bout d’une journée à peine. Toutefois, il n’avait rien avoué de notable.

Il était déjà huit heures du matin dans une des caves de la Kommandantur et Stéphane Andreotti avait mal dormi. Il se réveilla en sursaut après un sommeil agité.

- Mon pauvre Stéphane, marmotta-t-il pour lui-même. La journée s’annonce pénible… n’espère surtout pas que ces sales Fridolins vont te laisser en paix longtemps. Hum… Chantons donc pour nous donner du courage…

Ce qu’il fit.

- Marinella… quand je te prends dans mes bras, tout tourne autour de moi…



Des bruits de pas, une clef tournant dans la serrure de la porte de sa cellule. Puis une ombre barrant la lumière provenant du corridor extérieur. La silhouette d’un officier de la Wehrmacht se détachait sur le seuil, dans l’aube incertaine de ce matin de mai. Derrière le plus gradé, se tenait, au garde-à-vous ou presque, une ordonnance, le lieutenant Hermann Schiess. Posant le regard sur la plus grande des silhouettes, Stéphane reconnut le grade de celui qui, manifestement, allait se charger de son interrogatoire. Un lieutenant-colonel… Bigre… cela n’annonçait rien de bon… ou alors, les Boches lui accordaient une grande importance. C’était fort inquiétant…

Cessant de chantonner, le Corse déglutit et resta figé sur son matelas.

- Sergent Andreotti, commença le lieutenant-colonel dans un français dépourvu de la moindre pointe d’accent allemand, désolé de vous interrompre mais j’ai quelques questions à vous poser. Hum… Je vous interrogerai ici, dans votre cellule. Oh ! Ce n’est pas la peine de vous lever. Je m’assiérai sur cet escabeau.

- Euh… colonel, c’est donc vous qui êtes chargé de me faire parler. On me fait trop d’honneur, vous savez… je ne suis qu’un simple sergent.

- Nous verrons cela tantôt. Mais, avant de commencer…

Franz changea alors d’idiome.

- Hermann, restez en faction derrière la porte.

- Aber… Herr Oberstleutnant, das ist nicht vorsichtig…, balbutia le jeune lieutenant.

- Ich weiss, Oberleutnant, aber das ist ein Ordnung ! Je vous appellerai si nécessaire.

- Jawohl, Herr Oberst.

Alors, claquant les talons, Hermann obéit à son supérieur.

- Colonel, vous savez, c’est tout à fait inutile de parler allemand devant moi. Je pratique couramment votre langue et j’ai parfaitement compris ce qu’a dit votre lieutenant. Toutefois, permettez-moi de m’étonner de la façon dont vous vous exprimez en français. C’est hallucinant…

- Oh… Me soupçonneriez-vous donc d’être en fait un de vos compatriotes qui aurait opté pour la nationalité allemande et qui se serait engagé dans la Wehrmacht ?

- Oui, c’est cela.

- Passons à des choses plus sérieuses, voulez-vous ? D’après vos précédentes déclarations, vous vous appelez Stéphane Andreotti, et votre grade est celui de sergent-chef… maintenant, donnez-moi votre numéro matricule, la compagnie, la division, l’armée auxquelles vous appartenez… Je vérifierai.

- Hem… J’ai déjà dit tout cela… vous aimez la paperasserie, colonel… Bon… bon… Matricule 98 759, onzième compagnie, deuxième division, septième armée…

- Comme je vous l’ai déjà dit, je m’assurerai que ces informations sont vraies. Il y a un peu plus de vingt-quatre heures, l’avant-dernière nuit, vous avez été parachuté dans la région avec deux de vos collègues. Mais si vos camarades nous ont échappé, vous, vous avez été capturé par une de nos patrouilles.

- Je suis heureux pour mes amis qui ont eu plus de chance que moi, soupira Andreotti.

- Bien… Je suppose que ce n’est pas la peine de vous demander où ils peuvent bien se cacher présentement… qu’il est tout aussi inutile de vous demander la raison d’un tel parachutage dans nos lignes…

- Ah ! La mission… mais son objectif, je n’en sais rien… fichtre rien, colonel… ce n’était pas moi le responsable… désolé, mais vous n’avez pas attrapé le bon bonhomme. Avant-hier, on m’a dit, comme cela : tu vas sauter en France cette nuit avec deux autres parachutistes… deux mecs que je n’avais jamais vus… j’ai obéi sans me préoccuper du reste…

- Je constate que vous refusez de parler, sergent… ou, tout au moins que vous… babillez… si vous avez atterri ici, c’est que vous aviez pour mission de prendre contact avec la … résistance.

- Je vous répète que je n’en sais rien. Vous êtes drôlement plus au courant que moi, colonel… ou que vous tirez des conclusions trop vite.

- Actuellement, ces terroristes sont très actifs… cependant, il me faut reconnaître qu’ils perdent du terrain depuis trois semaines…

- Ouah ! Ainsi le Grand Reich serait donc en train de remporter une fabuleuse victoire ! Celle-ci mériterait d’être inscrite en lettres d’or dans le livre destiné à la Postérité !

- Vous pratiquez l’humour, sergent Andreotti… vous avez été à bonne école chez les Anglais… mais… je trouve vos réflexions un peu forcées… mais revenons à nos moutons… Hier, les FFL, c’est-à-dire les Forces françaises libres- voyez, sergent, je sais tout, et notamment les derniers ordres de ce grand escogriffe de de Gaulle – ont dû encaisser ce que je nommerai… un coup dur…

- Ah oui ? Ainsi va la vie… la roue du destin… mectoub…

- Comme le disent les Arabes… C’est ainsi… Dieu le veut…

- Alors, là, les bras m’en tombent, colonel… Honnêtement, vous parlez le français avec toutes ses nuances et ses influences étrangères…

- Cependant, je suis bien allemand…

- Permettez… Vous n’avez pas appris ma langue dans un livre… Ce n’est pas possible…

- Hum… je vais satisfaire votre curiosité, sergent… je suis le lieutenant-colonel von Hauerstadt… et ma mère est née française…

- Ah ! Foutre Dieu ! Le héros de Stalingrad… celui qui, au mépris de sa propre vie, a réussi à sauver ses hommes des Soviétiques sous un déluge d’obus et de mitrailles… j’ai été un sacré nigaud de ne pas vous identifier tout de suite. Bon sang ! J’avais tous les détails devant moi pour le faire cependant… votre jeune âge, votre croix de fer première classe, votre excellent français…

- Suis-je donc si connu chez les Alliés ? Surprenant… Sergent, vous êtes fichtrement bien renseigné sur moi… à mon tour d’avoir des doutes à propos de votre supposée identité… en réalité, vous êtes le chef de cette mission mystérieuse et vous n’êtes pas du tout un simple sergent-chef…

 

*****

 

Conservant son ton courtois, le lieutenant-colonel expliqua longuement à son prisonnier que les services de la police SS avaient mis la main sur un dénommé Flandrieux Robert, pharmacien de son état… soupçonné d’appartenir à un réseau de terroristes, il était mort lors de son interrogatoire un peu musclé, interrogatoire pratiqué par le Standartenführer Gustav Zimmermann, à qui, lui, von Hauerstadt, devait rendre des comptes. Or, ces paroles mesurées n’eurent aucun effet sur Andreotti. Il s’obstina dans son mutisme relatif.

Devant fournir son rapport à l’officier SS, Franz se fit vertement réprimander. Zimmermann, avec un sourire à vous glacer l’échine, contraignit alors le lieutenant-colonel à changer de tactique.

- Hauerstadt, vous êtes un mou, une petite nature ! Je vais interroger le prisonnier moi-même ! Je vous garantis qu’il dégoisera tout ce qu’il sait.

- Ah ? Vous croyez donc que le sergent va vider son sac ? Vous êtes bien naïf de le supposer, colonel. M’est avis qu’il est d’un autre bois que le pharmacien qui vous a claqué entre les doigts parce que vous aviez été trop loin…

- Oh ! Mais un prévenu en vaut deux… cette fois-ci je saurai faire attention… et mon fils Ludwig Hans officiera… non pas un vulgaire membre de la Gestapo… vous le savez sans doute déjà, il excelle dans ce genre de travail…

- Hem, toussota Franz… Standartenführer, accepteriez-vous ma présence ?

- La confiance règne à ce que je vois… j’hésite… je ne sais pas si vous pourrez supporter jusqu’au bout ce qui va suivre… vous êtes si jeune… si délicat… un lieutenant-colonel de la Wehrmacht, après tout, n’est guère habitué à voir la torture être employée sur les récalcitrants et les ennemis du Reich…

- Colonel, je vous rappelle que j’ai fait la Russie…

- Tout autant que moi…

Quelques minutes plus tard, Ludwig Hans, appelé par son père, préparait avec un zèle malsain tout un matériel hétéroclite censé être utile lors de l’interrogatoire de Stéphane Andreotti. Puis, le prisonnier fut traîné de force dans la salle aménagée dans les caves du bâtiment.

Ensuite, le prévenu fut solidement attaché à deux anneaux métalliques qui pendaient sur le mur blafard et crasseux. Un sourire de détraqué sur les lèvres, Ludwig Hans demanda de sa voix de fausset.

- Combien de coups de fouet, Vater ?

- Zwanzig…répliqua Zimmermann tout en allumant une cigarette.

Dès le quatrième coup, le sang jaillit des chairs déchirées. Sous les frappes cruelles et répétées du SS, Stéphane poussait des cris inarticulés. Cependant, imperturbable et concentré sur sa tâche, l’Oberscharführer achevait son décompte sanglant :

- 18… 19… 20… Terminé. Je vais voir si mon patient se montre plus coopératif.

Se penchant sur le corps prostré du Corse, Ludwig Hans demanda :

- Alors ? Toujours aussi silencieux ? Pas prêt à … comment dit-on déjà ? A cracher le morceau ?

-Je n’ai rien à dire, sale Boche ! Allez rôtir en enfer !

- Oh ! Oh ! Quel entêtement… Je n’aime pas cela… Pas du tout… une séance d’immersion… ça vous va ?

Détachant brutalement Andreotti, il le poussa à coups de pieds jusqu’à une chaise sur laquelle il le ligota. Or, ledit siège se trouvait à proximité d’une baignoire emplie d’eau glacée. La preuve ? Les glaçons qui surnageaient à la surface…

Le supplice débuta alors… la tête de Stéphane fut immergée de plus en plus souvent et de plus en plus longuement dans cette eau excessivement froide. Soumis à un tel régime, Andreotti toussait, suffoquait, cherchait son souffle, criait, insultait tout le monde, bavait, éructait et hurlait et ce, d’autant plus que, parallèlement, il recevait également de cruels coups de bâton en caoutchouc sur la nuque et au creux des reins. Quelques-uns même s’égaraient sur son crâne.

- Arrêtez… je vous en supplie… marmonna le supplicié un instant… je ne pensais pas que… ce serait si … dur… C’est pire que tout… Theu… theu… Je ne veux pas mourir…

- Alors… je commence à trouver le temps long, ironisa Ludwig Hans… Tu parles ? Tu n’es peut-être pas aussi dur à cuire après tout…

- Va… te faire… mettre, grommela le Corse.

- Was ? Ich verstehe nicht…

Franz avait saisi le sens de l’insulte… comprenant que les choses risquaient de se gâter encore davantage pour le sergent, il crut bon d’intervenir.

- Sergent, soyez raisonnable… Souhaitez-vous vraiment que le SS poursuive cet interrogatoire ?

- Va te faire foutre toi aussi ! Oh Catarinetta bella tchi tchi… lorsque je te vois, tu m’ensorcelles, tchi, tchi…

- Donnerwetter ! Was passiert hier ? Rugit Zimmermann.

- Colonel, hasarda Franz, notre prisonnier est quelqu’un de tout à fait surprenant… lorsqu’il souffre trop, il se met à chanter…

- Ah oui ? Et alors ? Qu’est-ce que cela signifie d’après vous, Hauerstadt ?

- Je… pense que nous avons à faire à un agent des services de renseignement britannique… un gradé de l’OSS…

- N’importe quoi, Hauerstadt. Ludwig, passe à la vitesse supérieure, mon petit.

- Oui, avec joie…

Le sergent s’exécuta avec une promptitude de mauvais aloi. Saisissant un bidon d’essence et un morceau de toile, il imbiba le tissu du liquide puant et l’enflamma juste sous les yeux larmoyants d’Andreotti.

- Mmm… qu’en dis-tu ? Tu veux subir le même sort ? Être transformé en barbecue ? Moi, ça me botte… mais toi, j’en doute…

Tandis qu’il arrosait le dos de Stéphane, il fut stoppé net dans son geste par le lieutenant-colonel.

- Sergent, vous allez trop loin… cessez…

- Ah ! Mais non ! Je ne suis pas d’accord, moi… je m’amuse comme un dieu…

- Hauerstadt, prenez garde, fit Zimmermann glacial.

N’écoutant pas les deux SS, von Hauerstadt se pencha vers Stéphane et lui dit :

- Sergent, est-ce que votre mission mérite autant de souffrance de votre part ?

- Salopard ! Va crever en enfer !

- Je vous promets que, si vous parlez, vous n’aurez plus à subir de sévices de notre part… Je vous en donne ma parole…

- Pour ce qu’elle vaut ! Pouah !

Avec mépris, il cracha au visage du jeune homme.

- Foutez le camp !

Zimmermann était en train de perdre son sang-froid.

- Hauerstadt, vous gênez l’interrogatoire… si vous ne le supportez plus, allez prendre l’air dehors. Je vous avais pourtant prévenu. La suite, Ludwig. Vite !

- Vous ne voyez pas qu’il est à bout, colonel ?

- Mais non ! Il nous joue la comédie ! Maintenant, ça suffit ! Asseyez-vous ou partez ! C’est un ordre.

S’adossant contre le chambranle de la porte, Franz se força à rester. Peut-être pensait-il qu’il était la dernière sauvegarde d’Andreotti ? Toutefois, un profond dégoût l’envahissait. La nausée s’emparait de lui… il s’en voulait, il se haïssait, il se méprisait…

Ludwig Hans avait trouvé un autre moyen de prendre son pied. Prenant une petite fiole bien anodine dans tout son attirail, il en dévissa soigneusement le bouchon et en fit respirer le contenu âcre à son patient.

- Tu reconnais les effluves de l’acide chlhorydrique, non ? Tu te souviens de tes cours de chimie… Alors, tu sais ce que je m’apprête à faire…

Eclatant d’un rire sinistre, il versa directement quelques gouttes du liquide jaunâtre sur les doigts de Stéphane. L’acide fit immédiatement son effet. On vit distinctement les chairs fumer, fondre et se recroqueviller, rongées jusqu’à l’os. Sous la douleur atroce, le prisonnier perdit alors connaissance.

- Comme c’est embêtant ! Souffla Zimmermann. Ludwig hâte-toi de le ranimer. Il faut que cette mauviette parle…

Puis, le SS tourna son regard en direction de Franz. Un curieux sourire se dessina sur ses lèvres.

- Oh ! Mais vous êtes tout pâle Hauerstadt. On croirait que vous allez clamser… votre cœur vous jouerait-il des tours ?

- Toute cette violence sadique… vous me donnez la nausée, fit Franz sourdement…

- Je vous ai mis en garde contre votre nature fragile maintes fois, colonel…

- Je… vous… savez pour moi…

- Mais naturellement… C’est pour cela que je vous ai fait reprendre du service… ah… mais voici notre ami qui sort de son coma… comme c’est amusant… toujours aussi entêté ?

- Standartenführer, arrêtez… pour l’amour de Dieu… Je vais chercher le major von First. Il va soigner notre prisonnier. Vous reprendrez votre interrogatoire plus tard…

- Ah ça ! Mais de quel droit ? Je suis plus gradé que vous !

- C’est dans votre intérêt, Zimmermann. Deux prisonniers qui meurent sans parler… cela ferait tache dans votre dossier…

- Hum… très bien, lieutenant-colonel von Hauerstadt…Je cède… pour l’instant… faites venir von First… je sors… j’ai à faire… mais ne croyez surtout pas que le sergent Andreotti va s’en tirer aussi facilement. Je lui laisse la journée pour se rétablir. Dès demain, je reprendrai mon interrogatoire… mais sans vous… c’est compris ? Tiens… il me vient une idée… je vais envoyer une compagnie quadriller les villages alentour et fouiller les maisons… J’espère que la pêche sera bonne. Passe devant, fils. Je te suis.

Les deux tortionnaires partirent en claquant violemment la porte derrière eux, le cœur empli de frustration.

- Décidément, plus les jours passent, plus je m’aperçois que la guerre a fait de moi une personne bien laide… je n’ai plus que mépris pour ce que je suis devenu, soupira Franz.

D’un pas vacillant, le lieutenant-colonel se sentait vraiment mal, se rapprocha du corps souffrant du sergent. Celui-ci avait repris connaissance et geignait.

- A boire… de l’eau… par pitié… si vous en avez encore…

- Sergent, vous aurez tout ce que vous réclamerez… je vais faire appeler le major von First… il vous soignera. Demain, je vous en prie, ne résistez pas au colonel Zimmermann. Vous avez vu ce dont il est capable… il finira par vous tuer et je ne serai pas là pour m’interposer…

- Vous… vous… osez me demander de céder… de parler… de trahir ? Fumier ! Va te faire enculer ! Salaud ! Tu ne comprends rien à l’honneur, connard de colonel ! Je suis un bon Français, moi, pas un de ces saligauds de collabos prêts à vendre père et mère pour un quelconque avantage… T’interposer… pour me protéger sans doute… Laisse-moi rigoler ! Regarde ce que m’a valu ta putain de protection… je n’ai plus de doigts, imbécile…

- Vous m’en voulez… vous m’estimez aussi coupable que Zimmermann… Vous me mettez dans le même sac… vous avez raison… du moins en partie… si vous savez tout de moi, mes antécédents, je vous demande de comprendre ma situation… le SS tient toute la région sous sa botte. Tous ceux qui y vivent. Moi y compris… plus personne n’est libre d’agir, plus personne… moi encore moins que quiconque… à cause de ma famille… de ma mère…

- Salopard ! Menteur !

- Je vous conjure de parler… de raconter tout ce que vous savez… ou… du moins de faire… semblant… de gagner du temps… comprenez-vous ?

- Rien à cirer !

- Je vous demande pardon sergent Andreotti. Sincèrement. Dans la même situation que la vôtre, j’aurais agi pareillement… je me serais tu… mais… c’est inutile…

Le visage tourmenté, fouillant fébrilement dans une des poches de sa vareuse, Franz sortit de celle-ci un petit flacon de verre contenant des pilules en en avala trois, sans eau. Ses mains tremblaient. Son front était couvert de sueur. Puis, il sortit avec moins de fracas que les deux SS. A l’extérieur, il trouva Hermann qui l’attendait inquiet.

- Colonel… vous êtes à faire peur…

- Cela ira, Hermann. Allez vous enquérir plutôt de von First.

- Pour vous ?

- Non… pour le prisonnier… il a besoin de soins. C’est urgent.

Pendant ce temps, dans la salle de torture, Andreotti éructait et dégorgeait sa haine.

- Te pardonner, sale Boche ? Jamais ! Je suis Corse et j’ai la vendetta dans le sang. Tu voulais savoir à tout prix quelle était ma mission ? Préparer l’attentat contre le Maréchal Rommel. Nous savons qu’il doit venir dans la région… mais le prologue de celle-ci te concerne personnellement, Franz, démon sorti de l’enfer… l’état-major allié connaît ta valeur… Tu serais bien capable de persuader le Maréchal que le prochain Débarquement aura lieu ici… en Normandie, entre Cherbourg et Caen… tu lui demanderais de renforcer le Mur de l’Atlantique… tu es si malin, si intelligent, Hauerstadt… nous devons t’éliminer avant que Eisenhower donne l’ordre de débarquer… Kaput, Franz, oui, Kaput… Cornelius et George sont libres eux… demain matin, mes amis passent à l’action ! Alors, cela va faire des étincelles, un sacré foutu feu de joie… boum ! Auf Wiedersehen…

 

*****

 

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