Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1956 (3).

 

Le duc Von Hauerstadt ne put s’attarder davantage à Venise.

 Venise

 La grossesse d’Elisabeth approchait de son terme et les dernières semaines s’avéraient délicates. En effet, la jeune femme devait rester allongée la plupart du temps, risquant un décollement de l’utérus.

Décidément, cet hiver 1956 fut propice aux maternités. Dietrich Möll allait être père pour la deuxième fois. Stephen naquit le 15 mars à 14 heures 31 de l’après-midi. Anna-Eva avait accouché dans une clinique réputée, pourvue de tout le confort moderne à Chicago. Il n’était que le dernier de la liste, Johann van der Zelden l’ayant précédé le 26 février dans une clinique de grand luxe située à Los Angeles. Le lendemain, Elisabeth donna le jour à deux adorables fillettes, rousses aux yeux verts, Liliane et Sylviane, dans une maternité de Detroit. A la suite des difficultés rencontrées durant la fin de grossesse de sa chère Lisbeth, Franz se jura de ne plus avoir d’autre enfant.

« Si les choses s’étaient mal passées, je n’existerais pas et la cité de l’Agartha non plus, avoua Daniel Lin à Craddock un soir alors qu’il avait invité le vieux capitaine à dîner.

- Quoi ? Pas d’Agartha ? Pas de feuilleton ? Si je ne vous avais pas rencontré, comment aurais-je fini mes jours ?

- Euh… toussota le Superviseur… mal… fort mal… dans un caniveau. Les Otnikaï ou tout autre représentant de ces guildes pirates vous auraient réglé votre compte.

- Ah ! J’étais pas un frère de la côte d’eau douce, moi. Vous me réduisez à la condition d’un sous-fifre d’un contrebandier de dernier ordre, objecta le capitaine, dont la disparition n’aurait même pas mérité un addendum d’une pico seconde dans le cyber bulletin intergalactique de Mingo ou Mondani. 

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Daniel Lin hocha la tête en signe d’approbation et acheva son assiette de riz thaï.

 

*****

Le 31 janvier 1956, le gouvernement de Guy Mollet recevait l’investiture de l’Assemblée nationale. Pendant ce temps, le pseudo-Pierre Duval, usant de son grade dans les services secrets français, lisait les derniers rapports concernant certaines missions délicates effectuées par le SDECE. Intérieurement, il ne pouvait s’empêcher de ricaner. 

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- Décidément, ces naïfs de Français sont loin de soupçonner qu’une taupe, et quelle taupe, s’est introduite chez eux ! Mais il n’y a rien de franchement intéressant dans ces rapports. Tant pis. Je me dois de transmettre tout cela à mes supérieurs officiels…

Le 6 février 1956, le président du Conseil, fraîchement investi, était accueilli à Alger par des huées et des tomates bien mûres. Ces jolis fruits rouges vinrent s’écraser sur son beau manteau. Les Pieds Noirs, non seulement lui lançaient des légumes blets mais, de plus, lui criaient dans une rage qu’ils jugeaient légitime : « Traître ! ». Pourquoi tout ce foin ? Guy Mollet devait remplacer le gouvernement général de l’Algérie. En effet, le général Catroux,

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 considéré comme un bradeur par les Européens de ces trois départements français, n’était pas accepté. Il fut donc obligé de laisser son poste à Robert Lacoste, ministre résident. 

 Illustration.

Une semaine plus tard, plus précisément le 14 février, s’ouvrait à Moscou le XXe Congrès du Parti communiste de l’URSS. Il s’agissait du premier Congrès depuis la mort de Staline. Il allait avoir des conséquences historiques importante lorsque, dans la nuit du 24 du même mois, un petit homme chauve, afin d’assurer son pouvoir à la tête de l’URSS, entreprit de démolir le mythe du tsar rouge.

Ainsi, le fameux rapport secret, qui fut diffusé sous le manteau en Occident, avouait que le pays avait été gouverné pendant trente ans par une espèce de paranoïaque sanguinaire. La déstalinisation débutait mais elle n’irait pas si loin. Monsieur « K », par la même occasion, annonçait la « coexistence pacifique ». Cela ne signifiait pas la fin de la Guerre froide.

Diubinov, qui était loin de se douter qu’un jour futur il lui reviendrait de diriger l’URSS, s’était trop aligné derrière Staline et la ligne des plus durs. Toutefois, il parvint, à force d’habileté, à ne pas être limogé de son poste. Se contentant d’une mutation dans un trou perdu, il sauvait sa tête, il allait y résider quelques années dans cette obscure petite ville de Sibérie.

 

*****

 

Otto Möll allait bientôt fêter ses cinquante-sept ans. Afin de célébrer dignement son anniversaire, il invita tous ses amis à passer quelques jours à Ravensburg. Depuis quelques mois, sa propriété avait été rénovée avec goût dans des matériaux plus coûteux et plus durables que ceux utilisés par ses ancêtres.

La toiture avait été entièrement refaite ainsi que les parquets et les boiseries. Des tapisseries plus claires venaient égayer un intérieur remeublé dans un style moderne de mise dans les années 1950. Le design était à l’honneur. Tout le système de chauffage et l’électricité étaient désormais aux normes de sécurité. La roseraie embaumait ainsi que le jardin. Dans le parc, les statues avaient été remplacées par des sculptures abstraites.

Alors que dix heures du matin sonnaient à l’antique horloge - une pendulette rococo qui trônait sur la tablette en marbre de la cheminée du salon vert - Franz raconta sa mésaventure survenue au monastère de San Pietro en janvier. Auparavant, tous les amis de l’ex-baron avaient posé pour la photo historique largement entrevue par ailleurs. Giacomo était l’auteur de ce cliché mémorable.

Plus tard, en ce 9 avril 1956, un déjeuner était servi dans la salle à manger rénovée. Le repas se composait de rouleaux de jambon à la jardinière, gigot d’agneau rôti accompagné de pommes de terre sautées, goulasch, charlotte aux framboises fraîches, cassates siciliennes sans oublier tout un assortiment de fromages ainsi que le café et le pousse-café. Ces agapes se déroulèrent dans une ambiance détendue, William O’Gready restant relativement sobre.

Elisabeth avait fait dans la simplicité dans sa tenue. En effet, elle s’était changée et avait revêtu un ensemble twin set de couleur pêche. Les enfants déjeunaient de leur côté en compagnie de leur nurse Marie. Quant aux jumelles, elles dormaient profondément dans leurs couffins en haut, à l’étage. Sonntag sommeillait près de l’âtre.

A la fin du déjeuner, Bill et Robert portèrent un toast à la future coexistence pacifique. Franz murmura alors à l’oreille d’Otto :

- J’ai l’impression que William est plus éméché qu’il n’y paraît pour encenser ainsi la coexistence pacifique…

- Oui, sans doute, répliqua avec amusement Otto.

Mais voici que Robert et tous les autres convives s’écriaient :

- Otto un discours ! Otto un discours !

Sous les vivats, l’ex-baron n’eut d’autre choix que d’obtempérer. Il se leva, toussota pour s’éclaircir la voix mais aussi pour réfléchir à ce qu’il allait dire et commença son speech improvisé.

- Mes amis, votre impatience réjouit mon cœur. Le moment est donc venu de savoir ce que chacun ici présent a découvert ces derniers mois. Selon le résultat de nos recherches, nous pourrons proclamer bientôt, comme il a été écrit dans une bande dessinée destinée à faire date, une œuvre de Georges Rémi plus connu sous le pseudonyme d’Hergé On a marché sur la Lune… 

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A cette remarque Franz murmura doucement à Lisbeth :

- J’ignorais, ma chérie, qu’Otto lisait des « petits miquets ».

- Moi aussi. Peut-être se fait-il vieux ?

L’ancien baron poursuivait, n’ayant rien remarqué.

- … demain, l’homme voyagera dans le Temps ! Oui, plus que jamais j’en suis persuadé. Ceci sera rendu possible grâce aux propriétés de l’électromagnétisme. D’ailleurs, j’envisage sérieusement d’écrire un ouvrage grand public sur ce thème. Demain, l’électromagnétisme, serait un bon titre. Einstein n’a été qu’un pionnier. A nous de relever dignement le flambeau !

- Permettez cher ami, s’autorisa Franz en interrompant Otto d’un ton aimable mais ferme. Il me semble que vous mettez la charrue avant les bœufs. Lors de votre conférence de presse de janvier, vos propos à tous deux, Giacomo et vous-même, ont été accueillis avec le plus grand scepticisme. N’est-il pas un peu tôt pour divulguer l’état de nos recherches alors que nous ne sommes pas encore parvenus à mettre totalement en pratique notre théorie ? pour l’heure, il nous manque encore des données et des calculs. Tantôt, je vous ai contés ce qui m’était arrivé au monastère de San Pietro. Lorsque je vis cette ombre m’interpeler, j’ai cru tout d’abord avoir rêvé. La fatigue de la nuit… vous voyez le genre. Mais ensuite, j’ai fait le rapprochement avec vos propres aveux et divers incidents qui étaient survenus tandis que je me trouvais en France il y a désormais plus de dix ans. Et puis, cet attentat auquel vous avez mystérieusement réchappé, vous vous en souvenez certainement, non ?

- Euh… oui, opina Otto Möll d’une voix sourde.

- Que nous le voulions ou non, nous sommes placés sous surveillance temporelle. Reconnaissez-le.

Mais le duc n’eut pas le temps de s’étendre davantage. Alors qu’Elisabeth arborait une mine inquiète, n’aimant guère évoquer ou entendre évoquer certains faits auxquels elle avait assisté malgré elle lors de la fin de son adolescence, un vrombissement extérieur fort proche s’éleva soudain. Comme il allait en s’amplifiant, tous coururent sur le perron afin de voir ce qu’il en était précisément.

Au beau milieu du parc, sur une pelouse désormais bien entretenue, un hélicoptère atterrissait, sans la permission du maître de céans. Une fois le moteur coupé et les palmes aux arrêts, Otto, suivi de ses amis, s’approcha de l’engin volant. 

 Image illustrative de l’article SNCASE SE.3130 Alouette II

Le pilote, sorti de l’hélicoptère, s’expliqua poliment. Il s’agissait d’un individu encore jeune et de grande taille. Il s’exprimait en anglais.

- Monsieur, veuillez me pardonner. J’ai été forcé d’atterrir ici assez brusquement.

- Pourquoi donc ? s’enquit l’ex-baron dans la même langue que son interlocuteur improvisé.

- Je me nomme George Towson, poursuivit l’intrus. Je me déplace en hélicoptère pour mes affaires. C’est nettement plus commode. J’ignore ce qui s’est passé. Pas plus tard que ce matin, j’ai fait le plein de kérosène, mais pourtant, présentement, les aiguilles de ma jauge de carburant indiquent que les réservoirs sont vides. Or, je n’ai guère volé qu’une centaine de kilomètres, pas plus. Peut-être pourriez-vous me dépanner ?

- Hem… du kérosène, dites-vous, souffla Otto. Je veux bien vous dépanner. Je vais voir ce que je peux faire. Voyez-vous, je dispose moi-même d’un petit avion. Alors, je puis vous fournir un jerrican.

Pendant cet incident destiné à faire diversion, à l’intérieur du château, un valet récemment embauché, mais à la solde de Pierre Duval, s’emparait des feuillets rédigés par Giacomo et l’ancien baron von Möll. Lesdites pages concernaient le résumé et les conclusions des notes prises concernant les ouvrages du chevalier napolitain Antonio della Chiesa. N’ayant pas été surpris lors de son larcin, le pseudo-domestique s’éclipsa discrètement.

Dans le parc, Georges Towson avait été ravitaillé. Après forces remerciements, il repartit pour une destination inconnue. Tandis que l’hélicoptère s’éloignait dans le ciel, Otto et ses hôtes regagnaient la salle de séjour. Mais le sénateur York trouvait étrange cette venue inopinée.il prit à part Stephen Mac Garnett et lui dit :

- Qu’en penses-tu, toi, Stephen ? Cette panne me semble être un coup monté…

- Mon cher, tu es trop méfiant. Peut-être est-ce dû à ta profession ? Tu vois des espions partout.

- Mais non, mais avoue que c’est bizarre tout de même…

Alors que tous reprenaient leur place précédente, Otto, monté dans son appartement, cherchait dans le tiroir de son secrétaire les fameuses conclusions tirées des écrits de della Chiesa. Naturellement, il ne parvint pas à mettre la main dessus. Vivement inquiet, il redescendit et demanda à Perretti s’il n’avait pas consulté lesdits papiers plus tôt dans la matinée.

- Etes-vous bien certain d’avoir mis le rapport dans ce tiroir ?  Interrogea Giacomo.

- Plus que certain, affirma Otto avec force. Ce matin encore, j’ai consulté mes notes. Franz m’est témoin. Mais vous ?

- Moi, je ne suis pas allé dans votre appartement, Otto.

- Alors, une seule conclusion s’impose, risqua le duc le front sombre. Vos papiers ont été volés durant l’incident du pilote en panne.

- Dans ce cas, il faut le poursuivre, ce gangster, ce voleur, s’énerva le propriétaire des lieux. Vous avez noté l’immatriculation de l’hélicoptère ?

- Oui, évidemment, répondit Franz calmement.

- Alors, je vais faire donner la chasse en alertant les autorités.

- A mon avis, c’est inutile, jeta von Hauerstadt.

- Pourquoi ? Rugit Bill.

- Parce que le pilote, le faux George Towson, cela ne fait pas un pli, avait un complice ici, dans le château.

- A nous de savoir de qui il s’agit, jeta Otto fermement.

 

*****

 

A quelques kilomètres du château des von Möll, Sergueï Antonovitch Paldomirov recevait de son homme à tout faire les documents volés. 

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- Très bien Kurt, voici la prime convenue. Maintenant, disparaissez au plus vite dans la nature, qu’Otto von Möll ne vous retrouve pas ! Désormais, il va connaître quelques problèmes à rédiger son livre. Voici le chèque.

Avec une curiosité vénale, Kurt lut attentivement le montant du chèque. Satisfait, il s’inclina et répondit :

- C’était un plaisir de travailler pour vous, monsieur Paldomirov.

- Pas de nom, Kurt ! Lorsque vous serez en sécurité, donnez-moi votre nouvelle adresse. Vous savez comment me contacter. On ne sait jamais, je puis encore avoir besoin de vous.

Tandis que le pseudo-valet s’éloignait, Pierre Duval, songeur, réfléchissait.

« Avec tout ça, qu’ai-je gagné ? Une année ? Un mois ? Enfin, je n’ai fait qu’obéir aux ordres du Commandeur Suprême. Il sera satisfait. Il est plus que temps, maintenant, d’avertir Xaxercos. Il en réfèrera directement à Johann van der Zelden.

******

Effectivement, Xaxercos rapporta à l’Ennemi - celui de 1995 – ce qu’avait réalisé l’aide occulte du Commandeur Suprême.

- Parfait ! Tout se déroule selon le plan prévu. Quelle mécanique bien huilée ! Xaxercos, écoutez-moi attentivement.

- Oui, maître, fit l’homme-robot présent en 1956. Je vous écoute.

- Commencez la phase éliminatoire. L’heure est venue. Toutefois, je vous rappelle qu’il ne faut surtout pas supprimer Franz von Hauerstadt.

- Mais, maître, ce serait si facile, objecta Xaxercos.

- C’est un ordre, Xaxercos. Si vous l’enfreignez, je vous éteins définitivement et je récupère vos pièces détachées.

A travers le temps, l’homme-robot frissonna. Penaud, il inclina la tête.

- Ah, vous avez enfin compris. Vous êtes programmé pour accueillir Pierre Duval à l’aéroport de Washington DC le 1er octobre 1957. Dans votre tâche, vous serez secondé par l’agent soviétique Igor Pavlovitch Fouchine, un as dans son domaine. Naturellement, il ignorera que vous venez du futur. Alors, attention, pas de bêtise.

- Bien maître, j’obéis. Pour être sur les lieux en temps et heure, je vais solliciter auprès de Georges Athanocrassos une mission pour la côte Est des Etats-Unis.

La communication s’interrompit. Dans sa discrète et confortable propriété au cœur du Montana, Van der Zelden pianotait nerveusement sur son bureau en verre et en acier chromé.

« Bon sang, mais que se passe-t-il ? Mes hommes-robots se montrent de plus en plus rétifs. Même Xaxercos, pourtant si dévoué d’habitude ! Il est vrai que je les élimine à une vitesse grand V. Peut-être après tout possèdent-ils le sentiment de la mort de l’Autre. Quant au Commandeur Suprême qui refuse obstinément à ce que je m’attaque à Franz… Bizarre ! Je vais tenter quelque chose, enfreindre les recommandations de cet ordinateur prétentieux. Ce sera un bon test pour jauger ses limites. »

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