Un goût d'éternité 6e partie : Otto : 1953 (1).

 

1953

5 Mars 1953.

Le Kremlin était en deuil. En effet, Staline venait officiellement de décéder. Dans le monde communiste, une vague de désespoir sincère saisit les militants, les sympathisants ainsi que les compagnons de route. Pour qui ne faisait pas partie de cet univers, ce chagrin incommensurable apparaissait incompréhensible.

 Les Derniers Jours de Staline », de Joshua Rubenstein : onde de choc

A Paris, le PCF avait ouvert un livre de condoléances et la foule venait signer, témoigner de sa peine en un recueillement empreint de dignité. Plusieurs millions de Français devaient y apposer leurs signatures. 

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Or, parallèlement, à Moscou, ou plus exactement dans la datcha personnelle du défunt tsar rouge, Beria, au chevet du cadavre, sa haine suintant de tous ses pores, insultait en abondance le cadavre rigide et glacé de Staline. Du moins c’est ce que raconta Nikita Khrouchtchev dans ses mémoires quelques années plus tard ? Faut-il l’en croire ? 

Illustration.

Toutefois, le chef de la police ne devait pas se réjouir longtemps. Destitué le 9 juillet, Lavrenti sera officiellement exécuté le 23 décembre de cette même année 1953. En fait, ce triste sire, si craint et si haï par ses semblables, serait abattu le jour même de son arrestation tandis qu’il sortait d’une réunion tout à fait ordinaire du Politburo. Ainsi allaient les choses en URSS avant le dégel et la déstalinisation toute relative. 

Illustration.

Loin de tous ces événements, le fils cadet d’Otto, absolument pas dégoûté par son aventure en Amazonie, repartait pour l’Afrique centrale, n’hésitant pas à changer de continent, toujours mû par sa soif inextinguible de découverte. Il voulait se faire un nom, montrer qu’il était quelqu’un. Le quotidien prosaïque le débectait. Archibald ne se sentait bien qu’au milieu de la nature sauvage, cruelle, pourtant si envoûtante et à peine souillée par la présence humaine. C’est comme s’il pressentait qu’il saisissait là l’ultime occasion de profiter tout son saoul des ultimes recoins de la planète épargnés par la cupidité de l’humanité. En fait c’était un pur qui aurait dû naître un siècle auparavant.

Cette fois-ci, Otto n’avait même pas essayé de le retenir. Il avait depuis longtemps renoncé à raisonner son fils cadet.

A Moscou, la destitution de Beria fut enfin rendue officielle. Nicolaï Diubinov, en parfait opportuniste, alors qu’il occupait un haut poste en Géorgie, ordonna à des ouvriers de briser les bustes de l’ex-chef de la police de Staline à coups de masses, de ces masses en usage dans les abattoirs, pour ceux qui préféraient la brutalité de cet outil à la subtilité du pistolet. De toute manière, le sort de l’animal était similaire et la bête souffrait tout autant.

Apprenant la nouvelle, l’Occident demeura dans l’expectative. Cela n’empêcha pas Franz et Otto de commenter abondamment la chute et la fin de Beria.

- Ledit Beria n’a pas été simplement limogé mais assurément supprimé dans les règles de l’art, fit remarquer von Hauerstadt avec un humour pince-sans-rire.  

- Comment pouvez-vous avancer une telle chose ? murmura candidement Otto.

- Dans toutes les dictatures, les méthodes sont les mêmes, cela va de soi… Rappelez-vous l’exemple de l’Allemagne nazie, l’amiral Canaris, le maréchal Rommel

 Erwin Rommel

 et tant d’autres ont été éliminés parce que devenus indésirables pour le régime. Erwin Rommel avait donné son aval à von Stauffenberg. Bien qu’il fût blessé dans un attentat, cela ne gêna pas Hitler de le condamner à mort alors qu’aucune preuve tangible de son implication n’existait.

- Certes, mais vous, vous le saviez.

- Evidemment, répliqua Franz dans un demi-sourire.

 

*****

 

Du 16 au 19 juin, Berlin-Est connut des émeutes sanglantes.

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 Elles annonçaient Budapest. Wladimir Belkovsky, qui effectuait une tournée triomphale au Canada où il exécutait des grandes pages de la musique russe, accorda une série d’interviews en qualité d’ancien dissident passé à l’Ouest à tout un aréopage de journaux et revues. Il interpréta ces émeutes comme une faille dans le système imposé aux populations de l’Est.

Otto, cependant, trouvait son ami par trop optimiste. Pour lui, les événements de Berlin-Est n’étaient pour l’heure qu’une piqûre de moustique dans la cuirasse d’un pachyderme. En cette année 1953, l’ouverture du rideau de fer n’apparaissait que comme une improbabilité ou encore un très vague potentiel espoir dans un horizon fort lointain, peut-être de l’ordre de deux siècles.

Malgré tout, la guerre de Corée prit fin le 27 juillet 1953 avec l’armistice de Pan Mun Jon, entérinant le statu quo. Le 7 septembre, Nikita Khrouchtchev, qui était parvenu à mener sa barque avec habileté, devenait Premier secrétaire du PCUS.

Il est temps pour nous de retrouver un personnage quelque peu délaissé depuis de longues pages. Nous voulons parler de l’archéologue Stephen Mac Garnett.

 

*****

 

Un figurant bougonnait dans son coin, peinant à enfiler un archaïque scaphandre, cependant indispensable à son caméo dans ce feuilleton, interminable Star Trek historico-temporel. 

https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/0/05/Diving_apparatus_Draeger.jpg

- Bougre de bougre de foie de phoque ! C’est toujours les mêmes qui tiennent la vedette tandis que les sans-grades suent sang et eau à leur place. Ce James Mason ? Qu’a-t-il de plus que moi ? Il n’a même pas été foutu de bourlinguer jusqu’à la Lune ! C’est pas lui qui va plonger. Il va envoyer ses cafres de service effectuer le boulot à sa place. Il ne froissera pas son blaser griffé de faux loup de mer. Surtout pas. Sa coiffure doit être impec’. Aïe ! Les poils de ma barbe sont coincés dans les rivets de mon casque qui pèse une tonne. Et mes semelles, c’est du plomb ! Purée ! Quelle authenticité ! Au secours ! Monsieur Cousteau, à mon aide ! Mais pourquoi j’ai accepté de figurer dans cette séquence-ci ? A qui ai-je voulu faire plaisir ?

- Capitaine, l’interrompit Gronkt d’un ton agressif. Vous avez voulu vous faire mousser, comme d’habitude. Ici, c’est nous les héros de la scène. Je vous ai suivi.

- Pardienne, répliqua le Cachalot de l’Espace. Je vous ai battu au poker. Et pour ne pas me payer une bière, vous m’avez suggéré de prendre la place de Khrumpf. Ce Troodon ne rentrait dans aucun scaphandre à cause de son museau trop long et de ses cinq cents dents.

- Ah oui ! La seule tenue qui lui allait était un scaphandre rigide italien modèle 1959 qui l’aurait fait ressembler à la fois à Robby le robot et à un Bibendum. 

 Description de cette image, également commentée ci-après

- Je vois. La mécanique était munie de pinces au bout des doigts.

- Le commandant Wu est méticuleux au possible. Il déteste les anachronismes dussent-ils faciliter la mise en scène et le confort des figurants.

- Ouais ! Mais nous sommes ici dans un temps parallèle. Si jamais je venais à tomber sur le dos, je pourrais plus me relever. La simulation marine du sieur Daniel n’est pas du chiqué. J’ai déjà mal au cœur ! Zyeute-moi ces vagues !

- Vous dites vrai, capitaine. On se croirait sur une mer de vent beaufort.

- On est censé jouer sous combien de mètres d’eau ? questionna Symphorien sur un ton désapprobateur.

- 60 mètres, siffla le porcinoïde.

- Mazette ! Je préfèrerais encore jouer à saute-mouton par-dessus les astéroïdes avec la navette Copernic.

- Quelle navette Copernic ? s’enquit Gronkt.

- Ben, une navette de ce foutu feuilleton de l’âge des cavernes, Star Trek !

Mais le réalisateur Henri Verneuil rappela à l’ordre ses figurants.

- Messieurs, en scène pour la trois. Plus vite que ça.

- Oui, pacha, répondit Craddock tout en maugréant.

 

*****

 

En ce mois d’août 1953, l’archéologue se trouvait à bord d’un bathyscaphe FNRS3 bis mis secrètement au point par Auguste Piccard. Ce modèle avait été construit spécialement pour l’Américain afin d’effectuer une mission dans l’Océan Indien. Dans cette campagne de fouilles, Stephen Mac Garnett était accompagné de savants belges, états-uniens, français et italiens. 

 FNRS-3

Le FNRS3 bis avait commencé par plonger trop profondément, au-delà des cent mètres. Hélas, il n’avait strictement rien découvert, pas le moindre tesson de poterie, pas le plus petit monticule grossièrement appareillé. C’était pourquoi Stephen doutait de son premier choix. Finalement, il se résolut à opter pour des méthodes plus archaïques.

Quatre scaphandriers se relayèrent et fouillèrent alors inlassablement les profondeurs à un niveau accessible pour eux, au large des Mascareignes. Ils plongeaient à soixante mètres environ sur les contreforts de la plateforme continentale. Après six jours de vaines recherches, deux des scaphandriers, qui s’apprêtaient à remonter bredouilles, remarquèrent un conglomérat de roches volcaniques isolé au milieu d’une flore aquatique. Dérangeant un cœlacanthe dans son antre, les deux hommes s’approchèrent pesamment et maladroitement à cause de leurs semelles lestées de plomb. Le premier – le porcinoïde- fit signe à son compagnon – Symphorien Nestorius - de se dépêcher. Il pensait, avec raison, que la poudre anti-requin allait bientôt cesser d’agir. Gronkt parvint à atteindre l’amas, par trop régulier, qui lui faisait face. Plus il observait, plus il en était fasciné. Non seulement le bloc était doté d’arêtes au parallélisme d’une excessive perfection, mais, de plus, il émettait une luminescence verdâtre, phénomène tout à fait insolite. Des roches fluorescentes tels certains cristaux terrestres à soixante mètres de profondeur ! 

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Les deux plongeurs signalèrent leur découverte impossible par des bouées qu’ils avaient pris la précaution d’emporter.

En remontant, bien qu’ils eussent respecté les paliers de décompression, ils firent preuve d’une certaine agitation, comme pris d’ivresse ; cela inquiéta Stephen.

Une fois à bord du navire sur lequel était arrimé le bathyscaphe, les deux plongeurs expliquèrent avec force paroles, ce qu’ils avaient vu. Gronkt était censé interpréter un Mauricien s’exprimant en Basic English et Craddock un Ecossais car le bonhomme n’avait pas voulu se départir de son accent.

Convaincu par les deux discours, l’archéologue donna alors l’ordre de dégager le conglomérat rocheux et d’en remonter ne serait-ce que quelques fragments.

Les scènes mises en boîte étaient criantes de vérité. On se serait cru au bon vieux temps de Cognac Jay…    

Cognacq-Jay 1.jpg

Après plusieurs jours de très pénibles travaux, les plongeurs parvinrent enfin à casser le bloc volcanique et, ô stupeur, ils découvrirent au cœur de la carapace, logée à l’intérieur de sa gangue de roche brisée, une étrange machine cubique rayonnante, quasiment intacte, d’un vert de jadéite phosphorescent, machine cependant constituée apparemment de calcite et de silice très pures. Ce qui ressemblait à un appareil fort antique, digne de la machine d’Anticythère,

 Le fragment principal de la machine

 enfin remonté, les scientifiques de l’expédition s’empressèrent de l’examiner avec les instruments dont ils disposaient à bord. C’était-à-dire que la technologie de 1953 ne suffirait pas à percer le mystère d’un objet qui avait défié les siècles et ne correspondait à aucun artéfact connu produit par les civilisations disparues répertoriées officiellement.

Mac Garnett et son équipe se cassèrent ainsi les dents à comprendre à quoi servait précisément cette machine improbable. Elle ne recelait aucun mécanisme connu et apparent. Finalement, Stephen prit la décision de confier sa découverte à un grand centre de recherches géologiques californien. Ce qu’il ne dit pas à ses collègues, c’est qu’il avait prélevé quelques fragments de calcite à l’appareil afin de transmettre l’échantillon à Otto et à Franz. Il faisait plus confiance en l’inventivité de ses deux amis qu’aux ingénieurs du laboratoire de Berkeley.

 

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Cependant, la guerre d’Indochine entrait dans une phase décisive. A compter du 20 novembre 1953, plusieurs milliers de parachutistes français avaient investi la cuvette de Dien Bien Phû, à trois cents kilomètres à l’ouest d’Hanoï, afin de couper au Vietminh la route de la capitale du Laos. Or, les Français avaient mésestimé les forces de Giap ainsi que sa puissance en matériel fourni par l’URSS et la Chine. Le général Navarre se rendit compte trop tard de la bourde. L’évacuation de Dien Bien Phû devenait problématique du fait que, désormais, la cuvette était encerclée par deux divisions vietnamiennes appuyées par une puissante artillerie. Nous étions déjà le 1er janvier 1954. 

 https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/b/b3/Battle_of_Dien_Bien_Phu_map.png

 

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